mercredi 5 mai 2021

"Opus 77" d'Alexis Ragougneau.


Le Livre de Poche - 2021 -
256 pages.

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Le chef d'orchestre Claessens, est mort, la basilique Notre Dame à Genève est pleine pour un dernier hommage. Sa fille, Ariane, pianiste de renommée internationale, seule représentante de la famille s'apprête à jouer l'Opus 77, composé par Chostakovitch. Assise à son piano, ses doigts effleurent les touches et elle entame au gré des notes un chassé-croisé temporel où les souvenirs s'éveillent, affluent attirés par cette partition indissociable de cette famille hors norme, toute au service de la musique classique et de la figure tutélaire du père. Le romancier nous happe et nous jette dans une symphonie familiale tragique où les excès  de la passion artistique au service de l'excellence de l'interprétation musicale brisent et blessent des âmes fragiles aux atouts de génies. Chacun se perdra dans l'exigence et dans des silences infranchissables. Une plume élégante, musicale rythme avec justesse le parcours torturé du frère aîné, David, violoniste d'exception, toujours près du gouffre émotionnel dans son jeu musical où pointent ses conflits et contradictions face à un père trop charismatique et peu affectueux.

Prix des lecteurs "Le livre de Poche 2021"

Avec la précision d'un métronome, Ariane jette au vent ses réminiscences, sans artifices et ni pudeurs. Comme dans un refrain, elle s'épanche sur l'amour absolu qui la liait à son frère, David. Une relation entre parenthèses depuis le drame d'une compétition en Belgique où tout a été remis en question. Flamboyante jeune femme, elle s'arme et travaille sans relâche ses gammes sous des apparences de beauté froide et glaciale. Une armure, qu'elle revêt face à une célébrité étouffante, un monde aux accords trop élitistes, aux concerts aux rivalités furieuses. Contre toute attente, la jeune femme s'impose la gardienne de l'histoire de sa famille qu'elle égrène à coups d'accords, et d'octaves. 
Quant à son frère, il baisse les armes, incapable de s'assumer, il choisira la fuite et une vie de  de reclus. A chacun ses excès, Yaêl, la mère, prodigieuse cantatrice s'oublie dans le chant et peu à peu se laisse sombrer dans une silencieuse démence. Claessens, virtuose du piano, dirigera d'une main de maître un orchestre et il cachera ses fêlures sous un masque narcissique et despote. Krikorian enseigne le violon à David et libère quelques arpèges d'un génie torturé et introverti. Chostakovitch n'est jamais bien loin et survole ces moments de grâce et de douleurs.

Une partition fictionnelle très forte, révélatrice d'un chaos émotionnel familial où s'exacerbent les sentiments, les peurs sans la possibilité de communication, de gestes tendres qui pourraient réchauffer les cœurs ou soulager les peines. Seule, la musique enchaîne, irrite, blesse dans un huis clos infernal. Les émotions vibrent, les silences assourdissent. Chaque mouvement de l'Opus 77 en raconte un peu plus ou nous jette dans l'incertitude.

Aucune fausse note, à écouter et à lire comme une première à l'opéra ...

Longtemps après la derrière page tournée, ce concerto à fleur de peau nous hantera comme la petite sonate de Vinteuil de Proust ...

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Alexis Ragougneau est un auteur de théâtre et romancier français.
Il fait une entrée remarquée dans le monde littéraire grâce à ses deux premiers romans policiers, "La Madone de Notre-Dame" et "Évangile pour un gueux", parus dans la collection Chemins Nocturnes.
Il décide de s’affranchir des règles pour explorer plus librement la création romanesque. "Niels" est publié en 2017 et celui-ci retient l’attention des jurés du prix Goncourt.
Pour la Rentrée littéraire 2019, l’auteur s’immisce dans les coulisses de la musique classique avec "Opus 77". Au rythme des cinq mouvements de ce concerto pour violon de Chostakovitch qui a donné son nom au livre.
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lundi 3 mai 2021

"Antonia" (Journal 1965-1966) de Gabriella Zalapi.


Editions Zoé - 2019 -
Le Livre de poche - 2020 -
153 pages.

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Le ciel est gris, l'âme alanguit et le corps fatigué, Antonia, une jeune bourgeoise italienne des années 1960 tient son journal. Une plume élégante et poétique raconte dans un récit court ses mélancolies, ses souvenirs et ses déceptions accumulées. Une vie oisive, un mariage décevant, une maternité non assumée, Antonia s'ennuie, souffre, seule et en silence. La jeune femme étouffe dans une société qui enchaîne les femmes. L'héritage bienvenu de sa grand-mère la projette bien malgré elle dans les réminiscences d'une famille cosmopolite, blessée par la Seconde Guerre mondiale, puis jetée sur les routes de l'exil. Une parenthèse appréciée où elle tente d'oublier ce sentiment d'oppression ; elle retrouve pour de brefs instants, Nonna, sa grand-mère adorée. Des lettres, des photographies lui ramènent par vagues lentes et surannées des souvenirs d'enfance, des traumatismes qu'elle cachait au fond d'un tiroir. Antonia regarde tourner les aiguilles du temps dans le sens contraire et elle ose affronter son regard dans un miroir. Elle refuse les chaînes d'une société masculine entravante, blessante et autoritaire. Frileuse, petit à petit, elle se dévoile et assume sa féminité. elle s'émancipe et se précipite dans les rayons timide d'une vie ensoleillée et Libre.

Un roman bref et court comme un existence aux accords lancinants et monotones qui bouleverse par les silences. Sobre, efficace, il interroge sur la condition féminine d'une époque pas si lointaine. Nous nous surprenons à nous pencher par-dessus l'épaule d'Antonia et lire ses confidences toutes en pudeurs et nous soupirons avec elle, conquis et pleins d'empathie pour cette jeune personne qui se cherche dans son rôle de femme.   

Un premier roman séduisant et une romancière à suivre !

Une fin ouverte, chargée d'espoir : demain, peut-être ...


"L'indomptée, le roman de la papesse Jeanne" de Donna Cross.

Presses de la Cité - 1997 et 2020 -
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Hubert Tézenas.
567 pages.
Une prodigieuse fiction historique où la romancière marie avec brio l'Histoire et le romanesque. Attablée devant sa table de travail, minutieuse, elle brode sa tapisserie. Un monde médiéval, féroce s' anime sous son aiguille, elle file, mêle des couleurs chatoyantes et sombres, comble les zones d'ombre et raconte le destin hors norme d'une femme exceptionnelle. Un travail de recherches rigoureux avec des imaginations que nous pourrions qualifier de sérieuses !  

Top lectrice France Loisirs.

A la mort de Charlemagne, Jeanne naît à Ingelhein sur les bords du Rhin. Son père chanoine, d'origine anglaise, l'élève d'une poigne de dure et violente sans aucune affection. Sa mère, Gudrun, saxonne, un trophée ramené des guerres sanglantes, la berce de légendes et lui prodigue un peu de tendresse. Très tôt, elle se révèle curieuse de tout et dotée d'une finesse d'esprit exceptionnelle. Aidée, par son frère ainé Matthias, elle acquiert de solides bases de lecture, d'écriture et de culture latine. Après le décès de celui-ci, la rencontre avec un prêtre grec, Asclepios la conforte dans rêves d'indépendance et d'instruction. Une soif d'apprendre jamais rassasiée. Elle se révolte contre les partis pris et interdits qui oppressent les femmes. Jeanne se décide à fuir et elle accompagne son second frère vers Dorstadt (Basse-Saxe). Là, elle intègrera l'école cathédrale. Elle est placée chez Gerold, charismatique chevalier ...  

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Pour postulat, la papesse Jeanne a bel et bien existé ! Certes, un règne court ! L'auteure aborde un sujet épineux ! Avec aisance et beaucoup de finesse, Donna Cross nous projette dans l'univers très éloigné et tellement abscons du Haut Moyen-âge. beaucoup de recherches, de documentations et certainement un travail long et fastidieux ravivent une époque dure, meurtrière. La population souffrait continuellement de froid, de faim. Chaque jour qui se levait, était un combat perpétuel pour espérer voir l'aube du prochain. Les seigneurs et les prélats régissaient les contrées d'une main de fer. Le Vatican, un palais où fourmillaient  complots, clans en perpétuelle opposition. Le religion servait de prétexte pour des conquêtes de pouvoirs et de richesses. Les ravages des incessants combats sur les terres et les exactions sur la population sont criant de vérité. Un monde de barbares qui se cache derrière des paravents de croix et des palais aux dorures trop souvent ensanglantées.

Ses dons intellectuels, sa très bonne mémoire , les leçons façonnent la petite Jeanne en une jeune femme téméraire, instruite, capable d'affronter les plus grands hommes en des joutes redoutables et très appréciées.  Elle s'interroge sur tout, le bien, le mal et ses réflexions en font une philosophe !
Toujours debout, capable de s'assumer, elle traversera les routes de la future Europe pour s'installer à Rome et pénétrer dans les coursives du Vatican avec pour seule quête , la liberté de vivre et d'apprendre. Son parcours surprenant en fait une héroïne moderne, indépendante. Etre une femme est un handicap et bien, elle passe outre, se taille les cheveux et se grime en homme.
Toutes ses aventures lui permettront, très jeune, de rencontrer l'amour avec le chevalier Gerold, fidèle jusqu'au bout. Un personnage flamboyant, au caractère entier qui séduit. Pensez donc, il la surnomme "sa perle" !
Petit pincement au cœur, pour la mère, Gudrun, saxonne, une rescapée du massacre de son peuple par les armées de Charlemagne. Résignée sur son sort, elle subit une forme d'esclavage sans oublier ses origines, ses terres et son mode de vie. Elle bercera sa fille de légendes et de rites païens, une transmission orale.
Ce roman est une formidable machine à remonter le temps et qu'avant toute chose, il reste une très belle œuvre furieusement romanesque !
Exit les polémiques sur l'existence avérée de Jeanne la papesse, ce joli petit pavé est une formidable vitrine de l'après règne de Charlemagne. Une occasion de s'instruire et de découvrir l'époque carolingienne. Tout est savamment expliqué et décrit. Les prémisses de ce que deviendra l'Allemagne et la France. Un panel complet sur la vie, les mœurs, les coutumes et les superstitions où les sciences et les Humanités balbutiaient.  La guerre frappe toujours aux portes des cités avec son lot de violences. La course au pouvoir, aux richesses assèchent toujours et encore le cœur des hommes.  

 

lundi 26 avril 2021

"Le réseau Alice" de Kate Quinn.

Hauteville - 2020 -
Traduit de  l'anglais(Etats-Unis) par Agnès Jaubert.
669 pages.

Ce roman, un uppercut émotionnel, un pan de notre histoire se dépoussière et sort de l'oubli ces femmes courageuses et bouleversantes. Un récit haletant porté par un souffle de liberté !

Top lectrice France Loisirs.

Au printemps 1947, Charlie St Clair, jeune new-yorkaise, voyage avec sa mère en direction de la Suisse pour avorter. Difficile à cette époque d'envisager une grossesse pour une jeune bourgeoise, mineure et célibataire. Elle s'éclipse à Londres et frappe à la porte d'Evelyn Gardiner.  Son dernier espoir pour retrouver sa chère cousine Rose Fournier, disparue en France en pleine guerre. Impossible de croire en sa mort, surtout après le suicide de frère aîné. Elle rencontre une femme sas âge, agressive, acariâtre et alcoolique, à l'apparence négligée et aux mains difformes. De primes abords, tout semble perdu pour les recherches de Charlie. Le nom d'un restaurant à Limoges, "Le Léthé" secoue Eve et la décide à s'engager dans cette enquête. Escortées par Finn, jeune écossais, fraîchement sorti de prison, elle parcourent la France à bord d'une Lagonda. Un trio improbable sur les routes de France et les chemins de traverse d'un passé douloureux. 

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Quatrième passager à bord d'un véhicule de légende, j'ai vibré aux sons des confidences. Mon petit cœur un peu trop sensible a battu un peu trop vite plus d'une fois ! Une histoire puissante, pleine d'intrigues où des héroïnes audacieuses, éprises d'indépendance, de liberté se jettent à corps perdus dans les fureurs de la guerre 1914-1918 et plus tard dans une quête forcenée de vérité, de vengeance et aussi de rédemption. Pour Eve et Charlie, les fantômes du passé hantent leurs et leurs consciences. Leur soif de vérité et de revanche seront-elles suffisantes pour apaiser leurs âmes tourmentées et brisées ? Pourront-elles envisager une aube nouvelle et avancer ?
Cette fiction historique rappelle à nos mémoires un épisode oublié et peu raconté de l'occupation allemande durant la Première Guerre mondiale. Des espions et des espionnes pendant cette grande guerre qui ont ouvert la voie aux réseaux de résistance du second grand conflit mondial. Les femmes, elles aussi, ont été capables d'actes de bravoure et d'abnégation, toutes aussi compétentes que ces messieurs.
Eve et Lili forcent l'admiration par leur audace, leur témérité, des espionnes exemplaires prêtes à tous les sacrifices pour la sacro-sainte liberté d'un peuple oppressé et martyrisé. La jeunesse et la fougue d'Eve l'enverront dans des situations difficilement maîtrisables. Sans grande expérience, elle se jettera dans la gueule du loup. Malheureusement, elle en ressortira brisée et blessée pour le restant de ses jours. En jouant le jeu du pervers René Bordelon, elle n'a pas su évaluer les dangers. Face à un monstre si retors et intelligent, d'une violence inouïe, ses chances, de s'en sortir par de simples pirouettes de comédienne étaient nulles. Dès le début, le drame s'annonçait et se jouait sous quelques notes de Satie et des lectures de poèmes de Baudelaire, le tout agrémenté de liqueur de sureau. Un bien répugnant jeu du chat et de la souris aux accords esthétiques si cruels. Echec et mat pour la pauvre Eve. Quant à Lili, son personnage, un écho d'une femme qui a vraiment existé, Louis de Bettignies, reine des espionnes, louée et honorée par les hommes après sa misérable fin dans une prison en Allemagne. Une femme au caractère bien trempé, insouciante et forte, même dans les moments les plus inhumains et sans grande illusion sur son avenir. Lili, soutien inébranlable, toujours présente face à l'adversité. Jamais elle ne jugera, ne pleurera sur son sort. Une personnification de la Liberté qui guide ses compagnes !
Charlie, jeune américaine découvre le vrai visage de la guerre sur les routes d'une France en ruines, mais aussi par les confidences d'Eve qui sa raconte et remonte encore et toujours le temps, pas seulement dans ses cauchemars. Des blessures indélébiles qui ont taché sa conscience de culpabilité et de haine. A fur et à mesure, la jeune femme s'assume et s'émancipe avec l'aide d'un Finn, tout aussi choqué par la guerre. Peut-être réussiront ils à créer une vie faite de résilience et d'amour !
Une approche sensible nous éclaire sur le statut des femmes sur la première moitié du XXe siècle. Elles ne possédaient pas vraiment de droits, toujours sur la tutelle d'un père, puis bien souvent sous le joug d'un mari. la guerre, source de révolte, a suscité une prise conscience chez de nombreuses femmes. Elle ont largement contribué à l'effort de guerre même si elles ne combattaient pas. Alors, un rôle d'espionne convenait à merveille à ces frondeuses, avides d'indépendances et prêtes à tout. Beaucoup de ces jeunes personnes ont laissé sur les pavés sombres leurs illusions et sont retournées dans leu foyer changées à tout jamais.
Ce roman laisse entendre que toutes ces jeunes femmes ont été sciemment sacrifiées sur l'autel de la guerre. Des jeunes fleurs qui se faneront sous des pluies de larmes aux pétales froissés et arrachés par des griffes de furies sanguinaires. Si seulement, après la lecture d'un roman, les hommes pouvaient jeter aux orties leurs œillères et clore ces trop longues sagas de guerres et d'atrocités ; s'armer en fin d'une conscience et écrire les pages d'un nouveau roman aux chapitres de paix, d'amour et d'entente harmonieuse, pour qu'enfin notre passé peu glorieux puisse servir enfin de leçon.
Une plume magnifique, fluide et surtout addictive nous attache, avides que nous sommes de connaître la fin si dure soit-elle. A dévorer par tous les passionnés d'Histoire ou plus précisément des grandes guerres du XXe siècle. Le choix de la romancière d'une double temporalité exacerbe les situations dramatiques et enflamme nos cœurs.   
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Kate Quinn, (1981), américaine, est connue pour ses romans historiques tels que la saga romanesque " La maîtresse de Rome" .
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jeudi 22 avril 2021

Horemheb, le retour de la lumière." de Christian Jacq.

XO Editions - 2019 -
423 pages.


Des Hiéroglyphes gravées sur papyrus racontent l'ascension d'Horemheb, grand stratège et lumineux pharaon. Guerre de religion, complots et aventures, rien ne manque. Comme un scribe, l'auteur nous entraîne avec fougue dans une société fascinante depuis la nuit des temps. 

Top lectrice France Loisirs.

Akhénaton et Néfertiti viennent de mourir dans leur cité du soleil et ils laissent une Egypte toute aussi moribonde. Horemheb, scribe royal, intervient et place sur le trône, Toutankhamon. Le culte d'Aton, le dieu unique, est oublié et Amon et ses rites anciens est rétabli. Tous se réinstallent dans l'ancienne capitale : Thèbes. Ce tout jeune homme a la lourde tâche de rendre ses ors d'antan au pays des deux terres. Dans l'ombre, les partisans d'Aton s'organisent et préparent un coup d'état. Horemheb, promu nouveau général en chef des armées, réorganise l'économie égyptienne et consolide les frontières menacées par des factions syriennes et palestiniennes. Des ennemis aidés par le royaume des Hittites (turcs) qui depuis toujours caresse le rêve d'envahir la riche Egypte. 
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L'Egypte ancienne, a toujours possédé une aura de mystère. Une civilisation qui a su toujours captiver l'imagination au fil des siècles. Sa religion, son architecture démesurée et même, ses origines ont traversé les temps. Ses pyramides ont survécu et restent parmi les sept merveilles du monde. Ce roman historique raconte l'ascension d'Horemheb , simple scribe, aux aptitudes exceptionnelles. Il ramènera les lumières en Egypte. Un personnage solaire, fort et capable à lui seul de soulever les foules et d'attirer les  mansuétude et la protection des Dieux. Une lecture édifiante où nous apprenons facilement et avec plaisir la vie de cette époque fort lointaine où les Dieux s'invitaient dans les songes et laissaient des messages allégoriques au cœur des déserts ou à l'abri des sycomores dans des oasis paradisiaques.  
Des chapitres courts et concis, des dialogues percutants, des situations aventureuses et brèves restituent avec panache une époque enfouie dans des dunes de sable blond et brulant. Un bon rythme qui aide dans la progression du récit. Une véritable intrigue politique passionnante de bout en bout avec ses espions, ses complots et cette soif de pouvoir et de richesses. L'ennui n'est pas au rendez-vous. Nous sommes happés par cette grande fresque historique pleine de lumière, de passion et de mysticisme. L'auteur a su mélanger avec panache, personnages réels et fictifs, aucun n'est de trop. Tous, ils finissent par avoir leur importance. 
Un char lancé à toute allure, tiré par des chevaux fougueux, nous propulse à la suite des pharaons dans une épopée antique. Une plume facile et non-exhaustive nous instruit sur le culte polythéiste de l'époque et ses rites. Des temples gigantesques et des tombeaux aux proportions vertigineuses s'érigent au présent pour des moments d'éternité. Une personnification du cycle éternel de la vie et de la mort. L'au-delà tient une place importante dans l'existence des Egyptiens. Des signes, des manifestations d'outre-tombe sont naturels? Un panthéon de dieux et déesses sert une imagination et une créativité incomparables. 
Nous découvrons aussi, une civilisation aux mœurs étonnamment égalitaires et très bien organisée dans la gestion d'un si vaste pays. Les femmes sont amenées à tenir des hautes fonctions dans la société. Elle sont écoutées et sollicitées naturellement.
Les personnages du "vieux et de son âne, "vent du nord offre une touche malicieuse. Un animal, médium, en totale adéquation avec son maître, dresse ses oreilles pour donner la marche à suivre, une belle idée ! Avec finesse, nous apprenons aussi, les rouages du monde agricole et surtout, la culture vinicole très riche, et importante.
Pourtant, j'aurais souhaité un peu plus de narrations descriptives quant aux temples et textes inscrits dans la pierre, pour permettre une immersion plus totale. J'aime les belles phrases, les métaphores, les envolées narratives, les beaux adjectifs qui jettent une atmosphère, une imagination toute  fantasmagorique. Et l'Egypte ancienne est un sujet qui s'y prête forcément ! Et que dire de ces Egyptiennes, femmes voluptueuses et parfois vénéneuses. Robes et artifices ne sont pas détaillés pour parfaire et nous enivrer de parfums orientaux. Le ton donné est parfois un peu trop contemporain ! 

Ce roman a été une bonne lecture ; Christian Jacq est un excellent content Il n'a pas son pareil pour exhumer des sables du désert, l'ère des pharaons d'un autre âge. Un style incisif, du rythme et un souffle chaud nous transportent dans une aventure grandiose.

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Christian Jacq, n'est plus à présenter. Des études d'archéologie et d'égyptologie l'incitent à se lancer dans l'écriture. Une multitude romans à son actif et pour faire court, présentons  quelques séries comme celles de "Ramsès" - "La pierre de lumière" - "Le juge d'Egypte" - "Les mystères d'Osiris".
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lundi 19 avril 2021

"Le roi fol" de Laurent Decaux.

Oyez, oyez, damoiselles et damoiseaux, jetez-vous dans la danse du fou du roi à la suite d'un conteur formidable. Un Paris médiéval où le bruit des joutes se mêle à la fureur des intrigues, des trahisons, de tout acabit de barons félons.

Top lectrice France Loisirs.

XO Editions - 2019.
327 pages.

Un roman historique qui exprime avec panache ce règne chaotique, exsangue et essoufflé par une guerre qui n'en finit pas? Un recueil de personnages plus vrais que nature aux portraits savamment esquissés. Une plume fluide ôte le côté parfois ardu des récits purement historiques.

En 1392, Charles VI vient d'avoir un fils, né de son union avec Isabeau de Bavière. Il a préféré écarter du pouvoir ses oncles, assez nombreux 'd'Anjou, de Bourgogne et de Berry, ...). Durant, la Régence, ils faisaient passer leurs intérêts propres avant ceux du Royaume. Il rappelle à ses côtés les conseillers de son père, Charles X, le Sage ; surnommés "les Marmousets",  parmi les quels un certain Bureau de la Rivière. En août, pendant une expédition punitive contre le duc de Bretagne, allié des Anglais, le roi est frappé d'un accès de folie et il frappe mortellement plusieurs de ses chevaliers. Ses crises de folie ne le quitteront plus.  

Ce récit s'attache au début de la maladie mentale du roi Charles VI. La plume de l'auteur reste résolument moderne et permet une lecture fluide et addictive d'un roman historique passionnant en tous points. L'Histoire s'appréhende comme un roman. Ses personnages sont authentiques et nous nous attachons à ce roi surnommé "le bien-aimé" qui s'oublie peu à peu dans une folie qui le terrassera. Cette fresque historique développe le moment où le roi bascule lentement dans la démence ; un héritage de sa mère, Jeanne la folle. L'auteur n'hésite pas à prendre quelques libertés avec l'Histoire. Tout comme un de ses illustres prédécesseurs, Alexandre Dumas. 
La reine Isabeau de Bavière est peinte à coups de vitriol bien dosé. Au fusain, sans concession, elle se dessine comme une intrigante habillée de débauches et indifférente à son tendre et royal époux. Où sont donc les romans courtois et les beaux vers des troubadours et ménestrels ? Le romancier a joué avec les rumeurs de l'époque où déjà sa réputation était entachée. Nous sourions d'imaginer Nicolas Flamel et sa femme Pernelle comme de simples bourgeois qui spéculent dans l'immobilier. Il n'est pas loin de la vérité, et son image de talentueux alchimiste est égratignée pour notre plus grand plaisir ; inutile de se voiler la face !
La schizophrénie du roi et ses accès de violence s'opposent à un homme doux et généreux et laissent à penser qu'il n'était pas très à l'aise en son temps. Tout comme sa mère Jeanne, trop fragile et sensible.
Les personnages secondaires, fictifs donnent une bouffée d'air frais et de jeunesse à un roman médiéval, déjà vif et haut en couleurs. Florie et Paul suggèrent une petite romance légère dans un contexte trouble et dangereux. L'enluminure Moyenâgeuse enrichit et colore notre imagination. 
Fils du très célèbre Alain Decaux, la relève est finement assurée avec ce roman historique. L'auteur jette une savante dose de fiction pour tenter de lever toutes ces zones d'ombre quant aux causes de toutes ces fureurs violentes qui ont brisé la France en cette fin du XIXe siècle. Nous ressentons tout le plaisir du romancier à broder ces cabales en une trame vive et alerte. Une nouvelle vision fraîche et criante de vérité. Le style est dépoussiéré. Une grande documentation ajoutée à une dose d'ingéniosité captive le lecteur sans le lasser.
La fin du roman appelle une suite ! Allons nous connaître un renouveau des grandes épopées historiques pour passionner et enchanter des millions de lecteurs.

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Laurent Decaux, parisien,  a aussi écrit un autre roman, en 2017 : "Le seigneur de Charny".
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dimanche 18 avril 2021

"La virginienne" de Barbara Chase-Riboud.

Des fils de coton blanc enchaînent dans un bouquet sans parfum, un grand amour et l'Histoire de la jeune Amérique. Dans le cœur d'une jeune esclave, naît un amour pur et absolu. Son grand et seul amour. Une femme intelligente et discrète se dévoile comme une ombre affectueuse et sereine derrière un des grands hommes des Etats-Unis. Un grand roman historique ! 

Top lectrice France Loisirs.

Archipoche - 2017- Albin-Michel - 1981 -
Traduit de l'Américain par Pierre Alien.
563 pages.

1830, Nathan Langdon, recenseur en Virginie, rencontre Sally Hennings, esclave affranchie. Au détour de la conversation et des questions d'usage, intrigué, il décide d'en savoir plus. Peu à peu, Sally se livre et son passé se faufile dans son présent pour révéler une histoire étonnante et une passion amoureuse scandaleuse. Elle était une jeune esclave née de la liaison d'une esclave métisse et d'un riche propriétaire terrien.  Une quarteronne, par sa peau presque blanche, au service des filles de Thomas Jefferson qui les suivra à Paris. Elle deviendra sa maîtresse et une concubine soumise et amoureuse face à un amant maître de la situation, tour à tour autoritaire et affectueux. Les menaces et les troubles de la Révolution l'amènent à quitter La France. De retour en Amérique, il participera à la Déclaration d'Indépendance et sera le troisième président en 1801. Ils auront six enfants. Sally sera affranchie dans son testament et pourtant, elle ne quittera pas les terres de la magnifique plantation Monticello.

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Tout le monde se souvient de ces jeunes femmes en crinoline, dentelles fines et gants blancs, languissantes sous leurs ombrelles, qui se laissent bercer par les flots du Mississippi dans ces bateaux à aubes gigantesques. Des images romanesques à souhait qui nous ont fait rêver. Les romans "Autant en emporte le vent" et "La case de l'oncle Tom" (pour ne citer qu'eux) y sont pour beaucoup dans ces images édulcorées. Ces domaines aux maisons imposantes bordées qui se figent dans la moiteur des bayous et des étés. Sans oublier, ces champs de coton à perte de vue, au spectacle saisissant où des hommes et des femmes courbés par tous les temps, s'épuisaient, s'étiolaient à cueillir ces fruit d'un blanc immaculé. Soyons honnêtes, personne ne s'attardait sur leur sort et condition de vie. Les regards se détournaient, un peu de Blues effaçait les quelques froncements de sourcils et leurs interrogations. Barbara Chase-Riboud gratte le vernis et jette à terre les paravents de cette société américaine ségrégationniste pour s'enrichir et asseoir les bases d'une nouvelle nation. La petite histoire embrasse la grande ! Sally, très jeune, même très jeune, vit sa grande passion amoureuse qui l'aliénera pour le restant de ses jours. A Paris, dans une monarchie souffreteuse, Thomas Jefferson, veuf, se console dans ses bras fragiles. Même après son élection aux présidentielles, leur liaison durera. Seule, la mort les séparera. Ni le scandale, les souffrances et les douleurs n'entameront l'amour de Sally. Fidèle devant l'éternité ! A croire que Sally avait trouvé son point d'équilibre entre son existence d'esclave et ses sentiments. Elle refusera à plusieurs reprises son émancipation et elle restera toute sa vie attachée aux terres virginiennes de la demeure Monticello.
Le voyage parisien présente beaucoup d'attraits pour la découverte d'un ancien régime vacillant et surtout pour les prémisses d'une relation amoureuse entre une toute jeune femme admirative, toute à son "maître", et d'un homme d'âge mûr, sûr de lui, tyrannique et assez égoïste. Des traits de personnalité qui s'accentueront tout le long du récit et s'opposeront avec les idées libertaires américaines. 
J'ai pris mon temps pour lire ce grand roman, afin de mieux découvrir l'histoire de cette jeune nation frémissante et très dure. L'Amérique et l'esclavagisme restent indissociables. Une empreinte de sang, une page faite de douleurs et de morts sans identités. Dans ces grands champs, parfois, le vent ramène des pleurs, des cris de rage d'un autre temps. Des hommes toujours impuissants ne se libèreront jamais de leurs chaînes. cette tâche restera indélébile ... Arrachés à leur terre d'origine, sans plus aucun repère culturel. Ils ne transmettaient rien à leur descendance que l'obéissance et le silence. 
La romancière maîtrise à merveille son sujet et nous sentons au déroulé du roman, le travail de petite fourmi d'une grande historienne. Un récit talentueux où la foison des descriptions, la complexité des thèmes abordés comme le métissage et l'esclavage nous fait passer par un florilège d'émotions. Ce roman historique n'est pas une romance, mais une chronique sur un amour profond et épineux aux résonnances singulières. Une écriture tour à tour forte, délicate et précise a su raconter la vie d'une femme passionnée et passionnante. Une lecture indispensable pour traverser cette époque douloureuse où pourtant, une petite fleur pousse et grandit malgré tous les obstacles. La force de l'amour comme se plairaient à écrire quelques grandes âmes romanesques !
Ce genre de roman donne toujours l'envie d'en écrire un peu plus tant il interpelle et laisse à réfléchir sur la nature humaine, le passé, les sentiments et le couple ... 

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Barbara Chase-Riboud, est née le 26 juin 1939 en Pennsylvanie. Elle possède plusieurs flèches à son arc, tour à tour : écrivaine, sculptrice et poétesse afro-américaine. 
"La virginienne" (1979) - "Le Nègre de l'Amistad" (1983) -  "La fille du Président" (1994), ...
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vendredi 16 avril 2021

"Reines de sang" de Philippa Grégory.

Milady - 2019 -
Traduit de l'anglais par Mathias Lefort.
730 pages.


Les Tudors , une famille digne d'une tragédie grecque , jettent dans ses arènes des jeunes filles en fleurs. 

Top lectrice France Loisirs. 

En pleine Renaissance, nous suivons l'existence des trois sœurs Grey  : Jane, Catherine et Mary. Henry VIII mort, son fils Edward monte sur le trône trop jeune. Sa constitution fragile relance les complots et intrigues à la Cour. Chaque parti possède son favori et dans ce cas plus précis des favorites. Il n'y a plus que des femmes pour prétendre au trône d'Angleterre. Tout d'abord, les filles du vieux monarque, Marie Tudor, fille de Catherine d'Aragon, première femme d'Henri VIII et répudiée. Fervente catholique, elle porte l'étendard des Papistes. Ensuite, Elisabeth, fille d'Anne Boleyn, exécutée par son époux et probablement victime des complots qui ont toujours ensanglanté la Cour. Elles ont été écartées de la succession par leur géniteur. Les trois jeunes sœurs Grey sont leurs cousines, prétendantes directes, par leur grand mère maternelle, dernière sœur d'Henri VIII. Jane préférait les études et considérait son éducation trop stricte. Elle a passé sa jeunesse auprès de Catherine Parr et de son époux Thomas Seymour. elle affichait une foi protestante sans faille, habitée par la parole divine. Promise à un héritier du clan Seymour, ses parents la marient finalement à Guilford Dudley, un des héritiers d'une famille plus en vue. Les complots et les ambitions de ses proches l'assoient sur le trône pour quelques jours. Elle fera partie des premières victimes de Marie Tudor, la reine sanglante. Catherine, sa sœur cadette, plus frivole , accorde son cœur à Edward Seymour et brave la reine Elisabeth. Sa vie sera faite de peurs et d'humiliations. Elle meurt en captivité à moins de trente ans. Mary, la benjamine, souffrant de nanisme, apparaît plus maligne et plus discrète. Seule, elle restera la dépositaire de la mémoire familiale.
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Le roman se scinde en trois parties, chacune des sœurs se raconte. Ces jeune filles ont été broyées par des guerres fratricides , manipulées comme de simples poupées de chiffon par leurs parents. Une vie, la vie tout simplement n'a pas vraiment de valeur. Leurs chères petites têtes blondes ne sont certes pas leur bien le plus précieux. Tant pis, si la hache tranche une existence dont l'aube pointait ses premiers rayons. Jane Grey, reine de neuf jours,  sur le trône de L'Angleterre n'avait pas encore dix sept ans.  Même si le trait est forcé sur sa foi et son côté martyr, il très difficile de ne pas s'émouvoir . L'Histoire a retenu seulement son supplice, rappelons nous la peinture de Paul Delaroche et l'horreur de son exécution. Jane comme Catherine se ressemblent, fières, opiniâtres ; elle s'obstinent, l'une dans sa foi, l'autre dans ses amours. Elles font fi des menaces. La petite dernière, Mary s'affirme, plus maligne, plus souple, mais toute aussi  passionnée. Autre temps, autres meurs, les portes de l'enfance se claquaient trop vite et ces jeunes filles faisaient preuve d'une grande maturité d'esprit, difficilement envisageable à notre époque.
Marie Tudor, colérique et revancharde ne recule devant aucune exécution pour affermir son pouvoir et sa foi catholique. Une guerre sans fin contre ses prétendus ennemis durera tout le long de son règne. Ce personnage a dû inspirer Lewis Caroll pour sa reine de cœur et son impressionnante réplique : "Qu'on lui tranche la tête". Je pourrais même avancer une certaine ressemblance physique ! Quant à sa non moins célèbre demi-sœur, la reine Elisabeth I, son auguste père ne peut vraiment pas la renier : autoritaire, colérique, avec juste ce qu'il faut ou ne faut pas pour son entourage, de paranoïa. La romancière brosse un portrait assez noir qui s'éloigne de l'image de grande souveraine que l'Histoire a pris l'habitude de retenir. La figure maternelle, Frances Brandon, fière de son sang bleu, estime que sa branche est la digne et unique héritière. La mort de sa fille ainée n'a pas laissé les traces d'un deuil sans fin. Une mère dure, autoritaire que ses aigreurs emporteront. 
Philippa Grégory a su, une fois de plus, rendre vie aux fantômes du passé. Accompagner ces jeunes femmes a été une formidable expérience de lecture, de beaux moments prenants, voire stressants. Sa plume efficace et sa grande érudition déroulent tout le faste, la fureur d'une époque lointaine. Une course au trône d'Angleterre des plus passionnante ! Retenir tous ces noms, titres et filiation donnent parfois le tournis.
Par bien des points, les intrigues, les trahisons, les meurtres et les guerres intestines  évoquent cette aussi célèbre famille grecque, les Atrides. La Renaissance anglaise aurait pu servir le théâtre classique et ses tragédies sans  fin ! Encore une preuve que la réalité dépasse la fiction. Les plus grands drames, les plus émouvantes histoires ses sont tous joués sur le grand échiquier de notre passé. Victor Hugo aurait pu s'emparer de l'existence des sœurs Grey et nous offrir une pièce romantique avec autant de panache que sa "Lucrèce Borgia", avec pour décor cette sinistre et angoissante Tour de Londres.
Un hommage vibrant à des jeunes femmes que la mémoire des hommes a oublié. Un voile pudique et rosi de honte a caché ses vies fauchées. 
Pour conclure, relevons le côté résolument féminin du récit, écrit par une femme, raconte des destins hors du commun de femmes fortes, dures et orgueilleuses. Tour à tour reines, même pour quelques jours, victimes, ou monstres sanglants, fières et inflexibles ; elles ont toutes osé s'imposer, régner, se coiffer de la couronne d'un des plus puissants royaume. 

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Philippa Grégory, née en 1954, à Nairobi, romancière britannique, est très souvent associée à la fiction historique de par son œuvre romanesque très prolifique. "Deux sœurs pour un roi" (2009) reste son roman le plus célèbre. Citons aussi : "La princesse blanche" (2014), "La princesse  d'Aragon" (2020).
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dimanche 28 mars 2021

"Une île en orient" de Jenny Ashcroft.

Secrets de famille, mensonges, guerre et passions se déchirent dans un roman dramatique à outrance. Une histoire à couper le souffle ! Un suspense haletant, deux belles romances, deux époques et une histoire qui nous prennent aux tripes. Um bombardement émotionnel.

Top lectrice France Loisirs.

Milady - 2019 -
Traduit de l'anglais par Sébastien Baert.
599 pages.
En 1941, à Londres, sous les feux nourris du Blitz, Ivy Harcourt, travaille pour les services de renseignements de l'armée britannique. Polyglotte, elle parle l'allemand et aussi le japonais. Elle va survivre à deux évènements des plus traumatisants ; marquée  et choquée, elle accepte une mutation sur l'île de Singapour. La jeune femme quitte sa grand-mère Maé qui l'a élevée après le décès de ses parents. Elle quitte un pays meurtri par les bombardements. Après l'écoute des messages allemands, elle sera confrontée aux échanges des japonais. Autre lieu, autre guerre. A son arrivée, elle apprend que sa grand-mère a vécu à Singapour. Son chemin croise Kit, un militaire qui ne la laisse pas indifférente. Ivy réalise qu'elle ne connaît pas grand-chose du passé de son aïeule. De son côté, Maé angoisse pour sa petite fille et surtout, elle ne souhaite pas qu'elle rencontre des fantômes de son passé. Celui-ci la tourmente encore et le décès de son fils l'a brisée. L'histoire alterne donc entre la vie d'Ivy en 1941 et celle de Maé en 1897 et aussi d'Harriett, sa sœur jumelle. Elles sont le fruit d'une liaison d'un riche colon anglais et d'une domestique indienne. De vraies jumelles, unies et inséparables, mais au caractère très différent. Ivy rencontrera des figures du passé de sa grand-mère. Stupéfaite, elle cherchera des réponses. Pourquoi ces mensonges et ces secrets et que s'est-il vraiment passé ? Où est Harriett ? Qui est vraiment Maé ? La guerre omniprésente retarde les révélations.

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Les romans avec des secrets de famille restent mon genre de prédilection. Un réel péché mignon que je savoure. Une alternance entre passé et présent attise toujours ma curiosité et il m'est difficile de lâcher ces récits. Ce roman n'a pas dérogé à la règle. Une véritable pépite émotionnelle où le drame coule et serpente tout le long des chapitres jusqu'à une explosion finale où les révélations nous laissent bouleversés et pantois. Nous sommes forcément touchés par le destin de ces jumelles qu'elles ne maîtrisent pas. A cette époque, la condition féminine n'était pas des plus enviables. Continuellement sous tutelle, les femmes quittaient le joug paternel pour subir celui de leur mari. Une passation de pouvoir en quelque sorte. Bien souvent, elles se résignaient ou agissaient dans l'ombre ; l'heure des suffragettes n'avait pas encore sonné ! La romancière joue sur l'ambiguïté de la gémellité qui crée une histoire surprenante et intéressante. Cette partie du récit est sans aucun doute ma préférée, la psychologie des personnages plus fouillée et aboutie, la fiction plus dense et addictive. Aucun personnage n'est épargné, ils souffrent tous d'une manière ou d'une autre. Chacun tient sa place. Une résonnance que nos retrouverons bien des années plus tard. Nous ne pouvons pas nous empêcher de faire un certain parallèle entre la vie d'Ivy et celle de sa grand-mère. Jalousie, trahison saurent les générations ! Pour Maé et Harriett, le drame était joué d'avance, dès leur naissance ; il les suit et les condamne à beaucoup de souffrances. Un gâchis voulu par des hommes et des femmes aux attitudes mauvaises et aux principes ridicules. Leur destin ne doit rien à la fatalité ou à une mauvaise fée qui se serait penchée sur leur berceau. L'ère coloniale anglaise est décrite dans toute sa splendeur, ses mesquineries et sa cruauté. Leurs attitudes prennent des airs de thé mal infusé ; elles laissent un arrière-goût acide dans bouche.

Attention, le Seconde Guerre mondiale est bien présente avec son lot de morts et d'exactions violentes. J'appréhende toujours la lecture sur cet intervalle brutal et féroce de notre Histoire. Même, si la romance demeure le point d'orgue du roman ; il ne ressemble en rien à un récit pour "fleurs bleues". Ce genre d'écrit historique rend toujours hommage aux anonymes qui ont vécu pendant ces périodes. La plume de l'auteure fluide et concise nous embarque et ne nous lâche plus. Nous ressentons bien son plaisir d'écrire ; certainement mis en valeur par un travail de traduction remarquable. Nous oublions souvent de souligner le labeur assez difficile d'un traducteur. j'ai particulièrement apprécié la façon dont était relaté les traumatismes subis par Ivy pendant les bombardements. De simples échanges entre elle et son docteur, quelques souvenirs évitent la lourdeur de descriptions redondantes. Une manière habile nous suggère toute l'horreur de ces situations traumatisantes.

Pour conclure, il le faut bien . C'est un roman avec tous les codes du genre abordé.  Un voyage dans le temps, un chassé-croisé entre deux époques où la romance implose sous des fragrances de fleurs orientales aux parfums entêtants. La guerre griffe et meurtrit ceux et celles qui essaient de vivre leur passion. Nous sommes jetés dans une guerre mondiale aux mitrailles incessantes, dans des territoires occupés sous de somptueux paysages où les passions et quêtes intérieures sont magnifiées.

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Jenny Ashcroft, diplômée d'histoire s'est toujours intéressée au passé et a vécu plusieurs années en Asie et en Australie. Ses romans mélangent avec finesse les lieux exotiques et les grands évènements historiques qui affectent l'existence des personnes ordinaires. "Une île en orient" est son second roman (2019). 

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