jeudi 30 novembre 2017

"La pluie, avant qu'elle tombe" de Jonathan Coe.

Titre musical et  poétique d'une  chanson triste ...

2009 - Gallimard -2010 - Folio -
Traduit de l'anglais par Jamila et Serge Chauvin.
268 pages.


Tout commence avec le décès de Rosamond, la vieille tante de Gill. Elle laisse en héritage des cassettes enregistrées, destinées à une lointaine cousine, perdue de vue depuis des années : Imogen. Un vague souvenir d’une enfant aveugle. Après d’infructueuses recherches,  Gill décide d’écouter les enregistrements, entourée de ses deux filles Catharine et Elisabeth. 

"Puis il y eut une toux, un raclement de gorge ; et enfin une voix  qu’elles comptaient entendre, ce qui ne la rendait  pas moins fantomatique."  (p 37). 

Elles se plongent dans un passé familial inconnu.

D’une voix affaiblie par la maladie et empreinte de nostalgie, Rosamond raconte le récit de sa vie (ses amours avec Rebecca et Ruth)  de sa cousine Béatrix, de sa fille Théa et de sa petite-fille, Imogen Elle commente vingt photographies choisies par ordre chronologique. Par leurs descriptions soignées, elle dévoile les tranches de vies de plusieurs femmes sur trois générations. Le fil de sa vie se brise, elle s’épanche,  tente de s’excuser d’être restée le témoin passif des souffrances d’êtres aimés.

  "Pourquoi les photos – les photos de famille – donnaient-elles toujours aux gens un air si insondable ? Quels espoirs, quelles angoisses secrètes se dissimulaient derrière ce visage incliné avec tant d’assurance, derrière cette bouche arborant son sourire caractéristique et légèrement tordu ?"(p 23).

Elle tente d’expliquer l’histoire familiale à Imogen, ses origines, son identité, son pathétique accident qui l’a conduit à la cécité. Ses confidences d’outre-tombe mettent en scène des portraits féminins marqués par l’absence d’amour maternel et ses conséquences dramatiques. Histoire personnelle et grande histoire se rencontrent. Le Blitz à Londres, la vie rurale dans le comté du Shropshire, la perception de l’homosexualité appuient la destruction psychologique annoncée dès l’enfance transmise de génération en génération.    Une influence innée guiderait les destinées des personnes malgré elles, assujettissant et façonnant.  Les moments de joie s’accompagnent de musique, inlassablement écoutée « Les chants d’Auvergne » de Cantelouble, avec un air en particulier « Bailero » une région de France visitée, prétexte à des épisodes de bonheur inoubliable ou bien à une pause dans une existence remise en cause.

Un album de famille, toute simple en réalité : une caravane, une remise de diplôme, des disputes amoureuses, des vacances, une plage au bord d’un lac, des fêtes de fin d’année et sous-jacent des drames en veilleuse. Sur le bande son, les confessions donne le "la" au fil du temps qui passe inexorablement. Une touche de mystère surnaturel accentue le côté fataliste de l’existence. De fugitives visions et interprétations d’incidents, de coïncidences  favorisent la sensibilité naturelle et certainement génétique de Gill. Elle tente aussi de trouver une explication aux tragédies familiales. 

Sous une plume fine et intimiste, Jonathan Coe nous offre un mélodrame poétique et sombre ; une lecture touchante et inoubliable.

 La magie poétique des mots d’une enfant Théa :


"C’est ma pluie préférée. – Ta pluie préférée ??? … Eh bien moi, j’aime la pluie, avant qu’elle tombe."(p 164).

"Bien sûr que ça n’existe pas, elle a dit. C’est bien pour ça que c’est ma préférée. Une chose n’a pas besoin d’exister pour rendre les gens heureux, pas vrai ?" (p 165).

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Né en 1961, à Birmingham, en Angleterre, Jonathan Coe a fait ses études à Trinity Collège à Cambridge. Il a reçu le prix Femina Étranger en 1995 pour son quatrième roman, " Testament à l’anglaise"  et le prix Médicis Étranger en 1998 pour "La Maison du sommeil ". Sa prose se caractérise plus dans le registre satirique. Son roman, "la pluie, avant qu’elle tombe" surprend en 2007 ; le thème et le genre sont aux antipodes de ceux traités habituellement par le romancier. Exit les romans politico-satiriques et place à une saga familiale nostalgique, dramatique où se mêle une touche de romantisme, un  peu de symbolisme et beaucoup de fureur.
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dimanche 26 novembre 2017

"L'enfant du lac" de Kate Morton.

Une lecture envoûtante ...

2016 - Presses de la cité - 2017 - France Loisirs
Traduit de l'anglais (Australie) par Anne-Sylvie Homassel.
759 pages.



2003 – Sadie Sparrow, jeune policière londonienne, en vacances forcées, se réfugie chez son grand-père maternel dans les Cornouailles. Sa dernière enquête, l’a profondément affectée. Dans un appartement, son supérieur et elle ont trouvé une très jeune enfant, seule, apparemment abandonnée par sa mère. Elle refuse de croire à la fugue de la mère, s’investit personnellement, trop même et commet une faute. Sa vie privée se trouve des plus compliquées et un courrier l’ébranle et la jette dans les griffes d’un passé qu’elle essaie tant bien que mal d’oublier. Dans la campagne des Cornouilles, elle s’épuise en courses. Un jour, elle découvre un domaine magnifique où trône une imposante demeure, abandonnée par ses occupants et comme figée dans le temps. Subjuguée, sous le charme, elle cherche à en savoir plus.

"Leur maison est devenue notre palais de la Belle au bois dormant, en un sens." (p. 82).

1933 – A Loeanneth, « la maison du lac », pendant la fête du solstice d’été, le dernier né de la famille Edevane disparait. Enlevé, assassiné, Théo, onze mois, n’a jamais été retrouvé. L’enquête n’a jamais abouti ; laissant une famille à jamais brisée ; des parents et trois sœurs murés dans leurs silences et leurs souffrances.
Sadie, piquée au vif, désœuvrée et sensible au drame reprend l’enquête. Les multiples détails troublants aiguisent sa curiosité qui tourne vite à l’obsession.

" Leurs enfances avaient beau ne pas se ressembler, Sadie se sentait proche d’Eleanor Edevane. Elle avait conçu une certaine affection pour la jeune héroïne du conte, si loyale, si courageuse et cependant si espiègle : le genre de petite fille que Sadie enfant aurait voulu être." (p 190).

A Londres, Alice Edevane, seconde sœur de Théo, devenue auteur de romans policiers à succès, s’émeut d’apprendre qu’une personne s’intéresse à cette disparition. Les fantômes de son propre passé frappent à sa porte et sa jeunesse dans cette merveille maison du lac s’invite. Après le drame, elle n’est jamais revenue dans cette « maison du lac » si chère à son cœur.Parallèlement, avec le charme d’une grande conteuse, Kate Morton brosse le portrait d’Eleanor, personnage capital une mère, femme surprenante, bouleversante. La Première Guerre mondiale jette de noirs nuages sur son mariage avec le bel et généreux Anthony, rencontré et aimé dans des conditions follement romanesques ! Une enfant aussi, héroïne d’un conte féerique, écrit par un ami de son père, plongée dans des rêves fabuleux d’aventures et tellement attachée à Loeanneth, sa maison du lac et ses fabuleux jardins.

"… le passé, au mépris du temps, vous rattrapait toujours." (p 84), une petite phrase qui s’applique à tous les personnages de ce grand roman. Le passé guide leurs actes, pensées et chacun souffre et se brise à son contact quasi-permanent.

Chassés-croisés entre mensonges d’une nuit d’été, secrets enfouis, culpabilité, sacrifices et apparences à sauver ; tout ces allers et retours entre les différentes époques abordent : les deux guerres mondiales et leurs indélébiles traumatismes ; l’enfance avec ses joies, ses peines et ses désenchantements ; la nostalgie ; les souvenirs ; l’amour, ses joies, ses peines et déchirements ; et le rôle d’une femme, d’une mère, ses dualités et ses sacrifices, seule à décider et à protéger ceux qu’elle aime.

"Les libellules n’imaginent pas une seconde qu’elles puissent prévoir l’avenir. Elles volent de-ci, de-là, prenant plaisir à la caresse du soleil sur leurs ailes."  (p 203).

Les drames sonnent le glas des insouciances et des rêves propulsant l’enfance dans le monde des adultes.

Ce n’est pas un roman policier au sens propre, mais plutôt une quête, une soif d’absolution pour Sadie, un repos de l’âme pour Alice vieillissante. Le présent qui demande des réponses à un passé pour en finir avec ses questionnements sans fin.

Un roman d’atmosphère, au charme à l’anglaise, avec ses paysages des Cornouailles, ses vieilles demeures chargées de souvenirs et hantées par leurs secrets étouffés dans leurs pierres froides  rappellent par petites touches lointaines les décors des romans de Daphné du Maurier. De multiples rebondissements, des immersions dans l’intimité de chacun, récit polyphonique  nous enchainent à l’intrigue. Il est vraiment difficile de quitter ce récit, la dernière page tournée. Un final très surprenant, un beau jeu de coïncidences,  laisse pointer une petite lueur au fond d’un tunnel bien long.


"Vivant de surcroît à Loeanneth, maison riche de sa propre histoire ; ils devaient fatalement construire leurs propres vies comme des romans. Y manquait pourtant toujours un chapitre, le même, que personne n’avait jamais raconté." (p 495).


J’affectionne tout particulièrement ce genre de roman et Kate Morton excelle avec les récits d’atmosphère jouant à merveille avec les époques, les secrets de famille, sachant ouvrir avec finesse les tiroirs à mystère ; ensorcelant ses lecteurs avec ses descriptions de lieux et d’objets. Une subtile maitrise de style et de vocabulaire nous projette dans l’esprit de ses personnages et nous partageons de concert leurs joies et souffrances. Un de ses effets stylistique, la phrase nominale permet des raccourcis saisissants et traduit avec subtilité une idée et même une émotion !


"Théo. Les questions du journaliste, le photographe, Alice dans l’embrasure la porte." ( p 177).

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Kate Morton est née en Australie en 1976 ; titulaire d’une maîtrise sur la littérature victorienne, férue de littérature gothique est depuis toujours fascinée par les romans d’atmosphère. Son premier roman, Les Brumes de Riverton (Presses de la Cité, 2007), écrit à 29 ans, est un succès mondial, bientôt suivi par Le Jardin des secrets (2009) et Les Heures lointaines (2011), puis La Scène des souvenirs (2013), chez le même éditeur. Son dernier roman, L’Enfant du lac, parait aux Presses de la Cité en 2016. 
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dimanche 29 octobre 2017

"Esprit d'hiver" de Laura Kasischke.

Lecture coup de cœur ...
2013 - Christian Bourgeois Editions -
Traduit de l'anglais(Etats-Unis) par Aurélie Tronchet.
276 pages.



Un Noël comme les autres s’annonçait pour Holly et sa famille. Pourtant, cette année, rien ne se déroule comme prévu. Tout d’abord, le réveil tardif et l’étrange sensation que "quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux". Tout de suite, elle court vers la chambre de sa fille "Tatiana" pour se rassurer. Après, curieusement, elle retourne se coucher et là lui revient l’envie d’écrire, un besoin qui l’avait quitté depuis si longtemps, une frustration sans cesse présente. "Mon Dieu, cette pensée était pourtant comme un poème – un secret, une vérité, juste hors de portée" . (p 12)

La veille, Holly et son mari Eric ont veillé tard et abusé de vin et de lait de poule. En retard, il quitte la maison précipitamment pour récupérer ses parents à l’aéroport. Subitement, la narratrice, Holly, reste seule avec sa fille « bébé Tatty » ; une enfant adoptée quinze ans plus tôt en Sibérie dans un sinistre orphelinat. Elle tente de rattraper son retard, mais un malaise sourd, lancinant l’empêche d’accomplir les préparatifs. Étonnamment, l’adolescente n’est pas comme d’habitude, elle multiplie les reproches acerbes. Holly culpabilise, son esprit vogue vers des souvenirs lointains de jeunesse marquée par de tragiques décès, de maladie et d’angoisses toujours présentes. Sans cesse, lui revient  à la mémoire des brides de l’enfance de son grand et unique amour, sa fille Tatty.  Le secret qui entoure l’adoption se dévoile par à- coups trop violent pour être accepté. Tout le roman relate les introspections de la mère de famille avec un arrière-goût de bilan, annonçant une fin tragique.

Dehors, le temps se met de la partie, le blizzard se renforce les isolants du reste du monde, les enveloppant d’une curieuse torpeur. Les invités se décommandent. Une situation ordinaire qui insidieusement se métamorphose en cauchemar, en huis-clos angoissant. L’ambiance reste oppressante, l’atmosphère est telle que nous ne suivons pas Holly, nous faisons corps avec elle, sa possible paranoïa, sa réelle angoisse et surtout son sentiment ou complexe de culpabilité.

"Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux", une effroyable petite phrase …

Une personne, un démon, un esprit, une maladie mentale ? Holly n’at-elle pas appris à occulter ses obsessions angoissantes d’un claquement d’élastique ? Elle Refoule des situations choquantes, rejette des actes manqués pour mieux vivre en apparence . Le vernis lisse ne serait-il pas en train de craquer ? Qu’est-ce qui ne tourne plus rond chez Tatiana ? Son attitude reste des plus déconcertantes ! Un mur d’incompréhension s’élève entre elles, plus aucune communication ne semble possible.  Toutes sortes d’idées se bousculent, le lecteur se perd en questionnement et confusion ! "Il faut posséder un esprit d’hiver"

De l’histoire, il ne faut pas en  écrire davantage sous peine de dévoiler et gâcher le plaisir de lire ce roman étrange, à l’orée de la folie, du surnaturel, une ambiance confinée et glaciale à l’intérieur comme à l’extérieur.

Difficile de dire si c’est moi qui ai dévoré ce récit ou le contraire ???


Un grand trait de génie transforme une banale journée d’hiver, le décor du quotidien, en cauchemar hanté par un halo de mystères.  Laura Kasischke a su créer une atmosphère oppressante jusqu’à une fin tragique, prévisible, redoutée et glaçante comme le blizzard déchaîné qui gifle et nous frappe avec une révélation des plus choquantes. Après coup, certains détails remontent en surface et peut-être inconsciemment avons-nous, nous aussi refusé la réalité, tant elle apparaissait si monstrueuse …  
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Laura Kasischke, auteur américain, est née en 1961 à Grand Rapids, dans l’État du Michigan. Elle a fait ses études à l'Université du Michigan. Elle a publié des recueils de poésie récompensés par de nombreux prix littéraires. Ce sont surtout ses romans qui l’ont rendu mondialement célèbre. Les Éditions Christian Bourgois ont déjà publié huit de ses romans, dont "A suspicious river" (1999), "La Couronne verte" (2008), "En un monde parfait" (2010) et "Les Revenants" (2011), « Esprit d’hiver » (2013). Deux d’entre eux, "La Vie devant ses yeux", et "A suspicious river" ont été adaptés au cinéma. Laura Kasischke vit actuellement à Chelsea, dans le Michigan, avec sa famille où elle enseigne l'art du roman à l’université de Ann Arbor. 
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mardi 25 juillet 2017

"Les âmes vagabondes" de Stephenie Meyer.

2008- JC. Lattès -
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Dominique Defert.
617 pages.



L’été, j’aime assez lire des romans de science-fiction qui laissent place à l’imagination, une totale coupure avec le quotidien Durant mes fouilles régulières dans ma braderie préférée,  le titre de ce roman m’a interpellé et mon instinct a fait le reste.

La terre a été envahie par des extraterrestres d’un genre un peu particulier. Ce sont des âmes, des colons à travers l’univers ; dépourvues de corps elles recherchent en permanence des hôtes auprès d’autres espèces vivantes. Sans conflits, ni guerre, ni violence peu à peu elles s’immiscent à l’intérieur de nos corps et prennent le contrôle de nos esprits.  Lentement, insidieusement la quasi-totalité de l’humanité se métamorphose. Peu à peu la conscience humaine déserte les corps. La population sur terre est comme anesthésiée, plus de haine, de férocité. La société se base sur un troc économique, la confiance et l’entraide, une société utopique où nos instincts de petits sauvages sont réfrénés. Ces êtres ne cherchent pas vraiment à nous nuire ; d’un certain côté l’humanité s’améliore exit les passions. Les humains possédés sont reconnaissables à la couleur de leur iris, une couleur claire irisée, argentée se greffe autour se reflétant à la lumière.

"Elle est enfermée, Ian. C'est comme une prison ... pire que ça ; je ne sais pas comment décrire ce qu'elle endure. Elle est une sorte de fantôme. p 573.  



Seuls quelques individus ont échappé  à cette mutation. Le roman s’ouvre avec l’une d’elles, Mélanie Stryder, une des dernières humaines. Course poursuite, tentative de suicide manqué, elle est attrapée. Dans un centre de soins, elle reçoit une âme prénommée "Vagabonde" , la Terre est sa neuvième vie. Son expérience fait d’elle  la candidate idéale pour découvrir, par le biais des souvenirs et de la mémoire de Mélanie, le dernier bastion humain. Une « traqueuse », une âme disons policière pour faire  court dans la définition, attend avec impatience les informations.

Vagabonde nous racontent son existence et ses aventures sur terre ; l’histoire aborde le point de vue de l’extraterrestre "parasite". Tout est expliqué, montré en connexion avec ses ressentis, sa sensibilité d’âme étrangère à notre monde. Dès son implantation, le conflit s’installe entre les deux âmes. Les transplantations dans des corps adultes se font plus rarement pour éviter ce genre de problème et une nouvelle opération qui condamnerait le corps humain rétif. Là, un cas bien particulier, les « aliens » ont besoin d’informations.

Mélanie possède un caractère bien affirmé, limite explosive en comparaison de la douce et un peu docile Vagabonde. Elle partage ses souvenirs, manipule dans l’espoir de retrouver son jeune frère Jamie et l’homme dont elle est follement éprise Jared. Par empathie, elle est révulsée à l’idée de condamner à mort son hôte ; elle décide de partir dans le désert américain (du côté de Tucson, Phoenix). A partir de ce moment-là le roman relate leur existence parmi « les résistants » au fond de galeries souterraines à l’abri des Traqueurs. Il est vrai que le récit se déroule principalement sous terre, en petit comité, en secret. La survie s’organise en autarcie complète ; la petite communauté régie par l’oncle de Mélanie : Jeb. Un des rares humains à émettre des théories des complots et à croire à l’invasion extraterrestre. 

 Au début, Vagabonde est considérée comme un monstre à abattre ; le « mille-pattes » parasite, sujette à de nombreuses violences physiques et verbales (un peu trop même).

Tout le roman s’articule autour des âmes très différentes qui lentement finissent par cohabiter et s’apprécier. Vagabonde, surnommée Gaby par le contact de Mélanie estime sa nouvelle famille et tient à la protéger des siens ; tout particulièrement Jamie, le jeune frère et Jared.

L’histoire tient entre un mélange de petites philosophies et de romance un peu particulière - pour être plus précise, une quadrangulaire amoureuse, pas courant, deux âmes féminines dans un corps : Mélanie et Jared, un amour passionnel et charnel et Gaby et Ian amour spirituel et tendre faisant fi des corps et de l’attirance physique – sans cesse Gaby est déchirée entre ses propres sentiments (un fait nouveau pour elle) et ceux qu’elle ressent consécutifs avec sa promiscuité mentale avec Mélanie.

 
Je me suis très vite attachée à Vagabonde, à son caractère, sa bonté, sa capacité à comprendre, à ressentir les sentiments des humains. Les autres personnages sont aussi très omniprésents, chacun tient sa place et son rôle. (Jared, Jamie, les deux frères Ian et Kyle, la brute, Doc, le médecin, la traqueuse). La fin du roman laisse toutes les ouvertures possibles et les rumeurs d’une suite possible pourraient se confirmer. Il est indéniable que Stéphenie Meyer possède un certain don de conteuse ; elle nous embarque dans son univers fictionnel sans pratiquement d’actions généralement requises à ce genre de roman. Petit aparté, j'ai trouvé assez poétique les noms que choisissaient les âmes : "Bleu-céleste", "Tisse-le-feu", "Aurore d'été qui chante" ; un peu long, question d'habitude probablement. Quant aux histoires que Vagabonde raconte sur les autres mondes, un libre court à toutes imaginations !

Un petit bémol, le style d’écriture pauvre, l’emploi trop récurrent du pronom « on », laisse parfois l’impression d’un ton trop impersonnel et familier ! En opposition, à voir aussi la répétition de mots d’un registre trop soutenu : engramme (épigramme) – phagocyté (absorbé) – prophylaxie (préventif).
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Inutile de s’attarder sur la présentation de l’auteur, Stephenie Meyer, mondialement connue dès 2003  grâce à la série « Fascination » (titre original "Twilight"  est une  romancière américaine née le 24 décembre 1973 dans le Connecticut. En mai 2008, elle publie " Les âmes vagabondes", roman de science-fiction ; en 2016 paraît " La chimiste".
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jeudi 29 juin 2017

"D'après une histoire vraie" de Delphine de Vigan.

JC Lattès 2015.
479 pages.


L. est entrée en douceur, avec une infinie délicatesse, et j’ai passé avec elle des moments d’une émouvante complicité."  p 14-

Delphine, narratrice et romancière, très semblable à l’auteur, nous raconte un épisode de son existence.  Après la parution de son dernier roman, autobiographique, en pleine confusion, épuisée psychologiquement, elle tombe peu à peu en dépression, bien au-delà de la simple panne d’inspiration. Elle rencontre L., personnage féminin séduisant et fascinant. Elle ne sera jamais autrement désignée que par cette initiale. Immédiatement, c’est le coup de foudre amical. Peu à peu, elle va s’immiscer dans son quotidien,  et s’emparer subtilement  des commandes de son existence tellement  troublée et  désocialisée ; elle ne trouvera personne sur son chemin pour l’en empêcher. 

 " Elle ravivait cet espoir inassouvi d’être plus belle, plus spirituelle, plus confiante, d’être quelqu’un d’autre en somme …" p 88 


L. comprend mieux que personne le désarroi de Delphine. Elle évolue dans les mêmes sphères. L. écrit pour le compte des autres « un nègre » dans le milieu littéraire, elle reste dans l’ombre ; comme avec la narratrice ; son entourage ne la rencontrera jamais. Cette parenthèse douloureuse pourrait très bien être probable. 
Pourtant, «D'après une histoire vraie » ressemble plus à un roman psychologique qu’à une autobiographie. Le thème du livre reste la relation hors norme, l’emprise mentale, qu’entretient Delphine avec L. En filigrane, se dessine la question du vrai, du vécu dans l’écriture. Jusqu’où le romancier doit-il se dévoiler ? Au début du récit, il nous arrive de penser qu’il est une suite possible de son précédent roman « Rien ne s’oppose à la nuit ».

"Je crois que les gens savent que rien de ce que nous écrivons ne nous est tout à fait étranger. Ils savent qu’il y a toujours un fil, un motif, une faille, qui nous relie au texte." - p 103-

Néanmoins, les pistes se brouillent … Et si tout ceci n’était pas vrai ! A-t-elle vraiment vécu l’angoisse de la page blanche ? Les révélations des pans de son histoire sont-elles arrangées, transformées ou bien tout simplement inventées ? Le roman mélange-il vraiment la vérité et la fiction ?  Qui est la réelle manipulatrice L. ou Delphine ?  Trop d’interrogations étouffent l’intrigue.

Delphine De Vigan se met trop en scène ; la narratrice, lui ressemble trop. Une impression confuse où nous pourrions penser à une attitude quelque peu narcissique, un besoin de se placer en avant ; un culte de la personnalité qu’elle semble vouloir dénoncer. Une attitude déjà relevée dans ses précédents romans, des sujets très intimes. Le suspense n’est pas eu rendez-vous ; pas de surprise dans le scénario. Les passages avec la bibliothèque personnelle de Delphine, le huis clos final n’amènent pas le lecteur vers la stupéfaction, la fébrilité du dénouement !  

Malgré tout, je dirais que se fut une lecture agréable, mais pas ensorcelante … Je m’attendais, certes à plus d’imprévu, de fausses pistes, d’être malmenée, perdue dans l’intrigue.



"A cet instant précis, j’ai pensé cela : de certains mots, de certains regards, on ne guérit pas. Malgré le temps passé, malgré la douceur d’autres mots et d’autres regards."  p 317

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Delphine de Vigan, romancière est née en mars 1966 à Boulogne-Billancourt. A son actif,  huit romans dont "D'après une histoire vraie" en 2015 qui a été couronné par le prix Renaudot et le prix Goncourt des lycéens. Sous le pseudonyme "Lou Delvig", elle écrit son premier roman, déjà d’inspiration autobiographique : Jours sans faim (2002), qui raconte le combat d’une jeune femme contre l’anorexie. L’année suivante, « Les heures souterraines » dénonce le harcèlement moral dans le monde du travail. En 2011, avec «  Rien ne s’oppose à la nuit », elle raconte les souffrances de sa mère atteinte de trouble bipolaire. (Prix du roman Fnac).
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mercredi 21 juin 2017

"Mrs Dalloway" de Virginia Woolf.

Virginia Woolf, sa vie, son œuvre …

Le livre de poche - 1925 -
220 pages.
Romancière anglaise, elle est née le 25 janvier 1882 à Kensington, l’un des quartiers chics de la bourgeoise londonienne. Elle est la fille de Sir Leslie Stephen et de Julia Stephen Duckworth. Elle reçoit une éducation riche et diverse peu conventionnelle où la curiosité intellectuelle est de mise. En 1895, sa mère décède, première perte qui la fragilise psychologiquement. Avec son frère Thoby et sa sœur Vanessa, elle appartiendra au fameux groupe de Bloomsbury, un mouvement intellectuel qui bouscule la société bien-pensante. Là, elle rencontre Leonard Woolf, l’épouse et fonde la «  Hogarth Press », qui publiera tous ses romans. Cette indépendance lui permet d’aller au bout de son art, sans avoir à plaire à un éditeur. Auprès de Leonard, Virginia est apaisée. Mais elle ne connaîtra la passion qu’auprès de femmes, dont l’écrivaine Vita Sackville-West, ce qui conduira certains à voir en elle une pionnière de la bisexualité. Durant toute son existence, hallucinations et idées morbides l’affaiblissent. Le 28 mars 1941, ultime tentative de suicide, les poches pleines de cailloux, dernière promenade, Virginia se jette dans la rivière Ouse. Son corps sera retrouvé trois semaines plus tard.
Une biographie, « Virginia Woolf » de Viviane Forrester.
Un choix très subjectif, parmi ses œuvres les plus emblématiques : 1915 - « La traversée des apparences » ; 1922 – « La chambre de Jacob » ; 1925 – « Mrs Dalloway » ; 1927 – « Promenade au phare » ; 1928 – « Orlando » ; 1931 – « Les vagues ».
Une romancière anglaise qui m’est chère ; liée à des souvenirs de lecture de jeune fille... Comme aujourd’hui, premières chaleurs estivales, début de longues vacances qui m’offraient la possibilité de choisir de découvrir des romans et des auteurs ! Cette relecture s’est imposée suite à la lecture du roman « Les heures » de Michael Cunningham. Une irrépressible envie de replonger dans l’univers si spécial de Virginia Woolf …Petit aparté, j’ai même retrouvé le jumeau du poche que je possédais à l’époque !!! (Les braderies, des joies sans fin). 
Le roman …
A Londres, pendant une seule journée de 1923, rythmée par les coups de cloches de Big Ben, nous suivons  deux personnages principaux, qui sont Clarissa Dalloway, une femme au foyer de la bourgeoisie londonienne, d’une cinquantaine d’années (sort d’une longue maladie) et Septimus Warren Smith, vétéran de la Première Guerre Mondiale atteint de psychose post-traumatique. Ils ne se connaissent pas ; ils se croiseront sans jamais s’appréhender !  Le roman s’ouvre sur Mrs Dalloway qui sort acheter des fleurs pour sa soirée mondaine. Ne cherchons pas d’action, seulement des monologues intérieurs ; leurs pensées et intimité se révèlent au détour de promenades, d’errance au travers de la ville. Tour à tour, ils effleurent d’autres protagonistes qui eux-mêmes se dévoilent au gré leurs pensées. Peter Walsh, l’amour d’autrefois de Clarissa, ressasse ses souvenirs, sa jeunesse. Miss Kilman, professeur d’Elisabeth (fille de Clarissa),portrait tracé au fusain qui illustre la femme de petite condition malmenée par la naissance et la  vie, très instruite, aigrie par la force des choses, juge et dresse un portrait assez cinglant de Mrs Dalloway, la mondaine. Quant à Elisabeth, jeune femme qui cherche à s’émanciper, symbolise la nouvelle société émergente conséquence du conflit 1914-1918. L’auteur a choisi de présenter les faits de façon simultanée ; elle a recours au discours indirect libre, à l’épanchement intérieur et à la superposition des points de vue de chaque personnage. Les faits du récit aident seulement à comprendre l’existence, le passé, des prétextes pour amener les états d’âme de tout un chacun. Pas de chapitres, seules les heures égrenées par l’illustre horloge scandent les multiples soliloques !
Virginia Woolf aborde un thème résolument nouveau pour son époque, celui de l’altérite : avec Mrs Dalloway, femme publique, d’un certain rang social  et Clarissa qui flotte entre ses pensées très personnelles. Ce genre de dichotomie s’effectue aussi pour les autres personnages du roman. Autre thème très présent dans roman : la mort. Elle se glisse subrepticement  dans chaque monologue, sans rien ôter au texte, mélange tout en douceur quasi naturel.
Et bien sûr l’eau, un élément  présent, quasi obsessionnel, sujet à toutes les métaphores dans les romans de Mrs Woolf.
" L’oubli, chez les hommes peut blesser ; l’ingratitude irrite, mais ce grand courant, qui roule sans fin, une année après l’autre, emporte tout ce qu’il rencontre, ce vœu, ce camion, cette vie, cette procession, les enveloppe et les entraîne ; de même le torrent d’un glacier prend un ossement, une fleur bleue, un tronc d’arbre et les roule." p 160 .
Virginia Woolf cherchait une nouvelle forme d’écriture réaliste. Son roman « Mrs Dalloway » met en scène des personnages avec leurs sentiments, leurs choix ; leurs identités propres. Rêveries, réflexions, leurs corps sont ancrés dans le présent, mais leurs esprits s’échappent, noyés dans leurs pensées. Par certains côtés, la réception m’a rappelé les soirées du « Temps retrouvé » de Marcel Proust. Le temps qui file, les souvenirs et le passé qui s’invitent ; les mondanités auxquelles les personnages s’accrochent … Une lecture nostalgique, toujours un coup de cœur, je suis restée bercée par le ressac des mots, des phrases  de ce grand et formidable écrivain  qu’a été et restera pour toujours « Madame Virginia Woolf »
"L’amour… mais ici l’autre cloche, la cloche qui, toujours, frappe deux minutes après Big Ben, arriva tout affairée, les mains pleines de bagatelles qu’elle lança par terre comme si c’était très bien que Big Ben, avec sa majesté, fi la loi, si solennelle, si juste, mais qu’il y eût encore toutes sortes de petites choses qu’il ne fallait pas oublier –" p 148. 



 "Car, voici la vérité sur notre moi, pensa-t-il, sur notre âme qui habite des mers profondes et navigue, comme un poisson, entre des choses ténébreuses, se faufile entre les troncs des algues géantes, traverse des espaces pointillés de soleil, et s'enfonce dans l'obscurité froide, profonde, impénétrable. Soudain, elle s'élance à la surface et bondit sur les vagues que le vent ride, ce qui veut dire qu'elle a un besoin réel de se frotter, de se nettoyer, de se réveiller, de bavarder." p 184.

jeudi 15 juin 2017

"Les heures" de Michael Cunningham

Titre original : "The hours"
Belfond - 1999-
238 pages.
Trois femmes, trois époques, une journée, un fil conducteur, un roman de Virginia Woolf « Mrs Dalloway », voilà pour la trame de ce roman …Rien de plus n’est donné quant à l’histoire de ce roman ; intriguée, auteur inconnu pour moi et je me lance dans cette nouvelle lecture ! J’aime assez ce concept, ne rien dévoiler quant à la trame de l’histoire ; une totale découverte au fil des pages.

Clarissa est éditrice à New-York à la fin du XXème siècle ; surnommée Mrs Dalloway par son plus tendre ami Richard. D’ailleurs, elle donne en  son honneur un diner qui lui tient vraiment à cœur. Virginia Woolf est romancière en Angleterre en 1923. Elle commence un nouveau roman qui deviendra « Mrs Dalloway ». Elle vit pour l’instant à Richmond le temps de son rétablissement sur les injonctions de son mari. Elle s’ennuie, rêve de retourner à Londres. Laura Brown, mère au foyer demeure à Los Angeles en 1949 ; mère d’un tout jeune garçon « Richie », elle attend son second enfant ; mariée à Dan un ancien militaire, héros de la seconde mondiale. Rat de bibliothèque, lectrice compulsive, elle traverse plus qu’elle ne vit son époque. Nous nous retrouvons face aux figures de la création littéraire : c’est-à-dire, l’écrivain, le personnage et le lecteur.

D’un chapitre à l’autre, nous passons de l’une à l’autre. Le roman commence avec le suicide de Virginia Woolf, nous partageons ses ultimes moments. Episode terrible, écrit avec pudeur, sans pathos rendu réaliste, plausible comme sous le sceau de dernières confidences. Tour à tour, au fil des chapitres, nous nous immisçons dans l’inconscient des ses trois femmes liées par une même connivence spirituelle, une même sensibilité exacerbée proche du désespoir et de la détresse, une forte et puissante dépression chronique. Ce sont des écorchées vives qui cultivent avec brio les apparences et les faux-semblants. Leurs âmes souffrent et crient sans rien laisser en transparaître !!! Peu de notes d’espoir pour leurs espérances inassouvies surtout bien mises en avant chez Laura Brown. Elle préfère se perdre dans la lecture comme une fuite en avant toute intérieure.

Par les monologues intérieurs de ses trois figures féminines, le romancier Michael Cunningham  effleure tout en finesse les thèmes de la maladie (le sida) avec Richard poète maudit, malade au bord de la folie ; de la vie avec Clarissa qui malgré tout trouve que l’existence reste une formidable et belle aventure ; de l’hésitation sexuelle ; de la mort omniprésente, tentation suicidaire pour la plupart des personnages ; du temps personnage à part entière. Tic tac … Pour certains les heures filent trop vite, pour d’autres elles s’étirent vers l’infini !
Tout le long des chapitres qui concernent « Clarissa Dalloway », l’auteur nous renvoie par subtiles touches au roman de Virginia Woolf, des rappels qui si nous avons lu le roman gênent un peu la lecture. Nous nous renvoyons trop dans l’œuvre de Mrs Woolf. Pour aperçu : dans la rue, Clarissa et les badauds sont interpellés par une pétarade qui les attire vers le lieu d’un tournage de séquence de film. Dans « Mrs Dalloway », un pneu qui éclate séduit et captive la foule qui se perd en conjectures quant à l’occupant de l’automobile. A chaque section, inconsciemment, nous cherchons les clins d’œil et la comparaison s’installe : l’achat des fleurs, la soirée qui se prépare, le passé qui resurgit sans cesse etc. Alors, forcément impossible de ne pas prévoir le suicide d’un des personnages. Arrêtons là l’énumération le plaisir de la découverte risque d’être gâché !
L'adaptation cinématographique



Ne pas chercher d’action, dans ce roman, il n’y en a pas ! « Les heures » reste un récit introspectif, tout en douceur et en tristesse. Une très belle surprise, une lecture subtile et un très bel hommage à Virginia Woolf. J’ai beaucoup aimé le regard de l’auteur sur la romancière, sa douleur morale et sa difficulté à écrire. Je me suis surprise relire plusieurs fois certains passages avec un réel plaisir, emportée dans les détails, l’artistique, les émotions et la délicatesse !

"Elle aurait pu avoir une vie aussi riche et dangereuse que la littérature" -p 107 -

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Michael Cunningham, romancier américain est né à Cincinnati en Ohio le 6 novembre 1952. Il a grandit à Pasadena, en Californie. Il a étudié la littérature anglaise à l’université Stanford où il a obtenu une licence en Lettres. Très impliqué dans la lutte contre le sida, il participe à la naissance d’Act-Up. Il vit actuellement à New York.
Ses romans : « La maison du bout du monde » (1992) – « De chair et de sang » (1995) – « Les heures » (1999) – « Le livre des jours » (2005) – « Crépuscule » (2011) – « Snow Queen » (2015) – « Ils vécurent heureux, eurent beaucoup, d’enfants et puis …» - (2016).
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