mercredi 26 septembre 2018

"Le château de Cassandra" de Dodie Smith.

Le journal d'une jeune fille en fleurs !


Gallimard jeunesse 2004
Traduit de l'anglais par Anne Krief.
557 pages.
Cassandra, jeune fille anglaise de 17 ans vit dans la campagne du Suffolk dans un château aux origines médiévales, en grande partie en ruine avec des pièces de vie délabrées au confort plus que succinct. Ses descriptions rappellent certains manoirs gothiques de la littérature anglaise. Elle nous raconte sa vie et celle de sa famille dans son journal à l'écriture codée dite rapide dans un souci d'économie de papier et de protéger son intimité. L'écriture est sa passion et une manière de relativiser sur son existence faite de privations et quelque peu extravagante.

"J'écris ces mots assise dans l'évier de la cuisine. Ou plutôt les pieds dans l'évier ; car le reste de mon corps est sur l'égouttoir où j'ai posé la couverture du chien et le couvre-théière." (p 7) - La première phrase du roman et nous sommes happés dans un château en ruine au cœur des années 1930.

En trois cahiers,  elle se dévoile. Nous découvrons un entourage fantasque à l'existence un peu bohème, vivotant au jour le jour de peu d'expédients. Dans la famille Mortmain, nous avons le père, l'auteur d'un seul livre qui par le passé a connu un succès retentissant. Depuis, il se refuse à écrire après un tragique mélodrame conjugal.  Personnage loufoque et bien souvent dans son monde, plutôt égoïste,  il s'isole et lit des romans policiers ; rien à voir avec une figure paternelle protectrice et forte. Nous avons la belle-mère "Topaz", femme à la beauté singulière, modèle de peintre, probablement hippie avant l'heure. Nous avons aussi la sœur aînée "Rose", jeune beauté lumineuse qui souffre le plus de leur situation miséreuse. Elle rêve d'un beau mariage, d'une vie aisée et elle semble prête à tout pour réussir. Il y a aussi le petit frère, "Thomas", jeune adolescent intelligent et le jeune "Stephen", homme à tout faire de la maisonnée, épris depuis toujours de Cassandra. Et sans oublier "Héloise", la chienne bull-terrier et le chat "Abélard" ! Et un petit mot, sur miss Blossom, vieux mannequin de couturière que les sœurs font parler  pour égayer leurs tristes soirées d'hiver.

"J'étais lois d'imaginer ce que la soirée me réservait : il nous est véritablement arrivé quelque chose ! Mon imagination meurt d'envie de se déchaîner et de tirer des plans sur la comète ; mais j'ai remarqué que lorsqu'on imagine des choses, elles ne se produisent jamais dans la vraie vie, donc, je me retiens." ( p 65) 


Un beau jour, le château de cartes vacille avec l'arrivée inopinée de deux jeunes américains héritiers du propriétaire du château, du manoir "Scoatney Hall" et de ses environs. Simon et son frère Neil Cotton tombent sous le charme ! Et nos jeunes filles aussi !   Cette arrivée bouleverse  l'existence  de toute la petite famille. Ainsi, nous partageons les événements qui jalonnent la vie au château avec ce qu'il faut de sensibilité et d'ironie.
Ce roman, le journal de Cassandra est écrit avec beaucoup d'humour, il pétille de péripéties cocasses et drôles et ponctué de myriades de tendresse. La jeune héroïne brille de mille feux par son intelligence, son esprit vif et sa gentillesse. C'est véritablement une belle personne, pleine de compassion, d'amour.  Une jeune fille comme nous aimerions en connaitre beaucoup ! Sa philosophie de vie face à sa situation précaire est remarquable, une belle leçon de vie qui nous pourrions appliquer, se réjouir de plaisirs simples, oublier les futilités .  Ces nouveaux voisins inspirent cette jeune apprentie romancière et l’aiguillonnent dans ses écrits toujours plus vifs et spontanés. Une effervescence s'empare des vieilles ruines poussant ses occupants vers l'avenir, les dépoussiérants de la misère ! Finie la monotonie, adieu la solitude ! Sorties, danses et musique (un soupçon de baroque  avec Bach) résonnent et claquent dans la campagne endormie. Tout cela sous l’œil vigilant de l'aristocratique tour Belmotte ! 

"Oh, je meurs d'envie de tout raconter dès le premier paragraphe, mais non, je ne ferai pas ! C'est l'occasion ou jamais pour moi d'apprendre le grand art du suspense." ( p 261)

J'ai tout de suite été charmée par le style de l'auteur, les aventures romanesques de Cassandra. Les personnages restent attachants, un roman jeunesse à glisser entre toutes les mains à consonance initiatique. Passionnée de littérature, j'ai apprécié les références aux œuvres des sœurs Brontë et de la très célèbre et très en vogue de nos jours : Jane Austen. Inutile de s’étendre sur les nombreux clins d’œil faits aux poètes anglais pour notre plus grand ravissement ! Une ode à la passion de la lecture ! Le récit évoque des thèmes similaires : la condition sociale, les premières amours, les belles demeures et mêmes les bals de contes de fées.Un roman à l'anglaise comme je les aime. A savourer, dans un bon fauteuil, avec une bonne tasse de thé bien chaude et parfumée accompagnée de madeleines bien fondantes ...

"Tout ce dont je me souviens, c'est d'avoir ressenti un immense bonheur, un bonheur de l'esprit et du cœur, qui s'est répandu dans tout mon corps, un bonheur qui ressemblait à la chape de soleil qui m'enveloppait quand j'étais sur la tour." (p 362)

"Et la robe noire n'avait pas été la seule chose à me faire grandir." (p 443)
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Dorothy, Gwladys dite Dodie Smith (1896-1990), est une romancière anglaise, dramaturge et scénariste très connue pour son livre jeunesse "Les 101 dalmatiens". "Le château de Cassandra" a été publié en 1949. 
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