dimanche 28 janvier 2018

"Dans le livre des rêves" de Mikkel Birkegaard.

Une quête, une mystérieuse bibliothèque et des livres …


2013 - Editions Fleuve - 2014 -10/18.
Traduit du danois par Frédéric Fourreau.
550 pages.

Le narrateur, vieillissant, nous raconte des événements pour les moins fantastiques vécus dans son adolescence. Tout commence après le suicide de son père lorsqu’il avait dix ans. Il souffrait de démence chronique  inexplicable ; il travaillait au ministère du Livre. La nuit, précédant sa disparation, il lui confie un livre à  la couverture et titre énigmatique « Ex libris omnia » (en latin, le livre des rêves). Nous sommes à Copenhague en 1846, où la politique royale, répressive, détruit les livres qui pourraient inciter  la population à avoir des idées subversives. Miséreux, délinquant, il se retrouve apprenti chez Mortimer Welles, bibliophile aux airs de Sherlock Holmes.
Leur rencontre amène une enquête, à la croisée du policier et du fantastique. Ils cherchent une mystérieuse "Bibliothèque" au savoir universel et qui même est censée contenir les poèmes de Don Juan, auxquels aucune femme ne résiste.  Telle une araignée qui tisse sa toile, elle relie et enchaîne tous les personnages.  Bien malgré lui, Arthur, le jeune narrateur se retrouve jeté dans un univers fantastique où drogues, asservissement de l’individu, rêves manipulés bousculent toutes ses convictions cartésiennes.

Pour synthétiser,  le roman se divise en deux parties, la recherche de la Bibliothèque, une sorte de chasse au trésor s’organise aux énigmes classiques. Et sa découverte, avec le mystère des disparitions de personnes, qui introduit des éléments fantastiques dans l'intrigue, plus ou moins prévisibles. Welles comprend tout et trop vite grâce à son sens de la déduction et une intelligence très aiguisée. Nous ne pouvons élaborer d'hypothèses, tout glisse et les solutions apparaissent trop (encore) trop facilement. Pourtant, le thème attaché aux livres, les fantasmagories nous incitent à poursuivre dans cet univers extraordinaire ! Nous nous empreignons assez bien de l’époque, de la ville triste et froide.

"Les livres qui m’entouraient patientaient sur leurs étagères, muets et grave. Je ressentais leur poids. Leur nombre avait quelque chose d’intimidant." (p 297).  

J’ai aimé ma lecture …

Par certains côtés, pour son roman, l’auteur s’est certainement inspiré de l’enquête de Guillaume de Baskerville et de son novice dans « le nom de la rose » d’Umberto Eco ; avec aussi un soupçon de Carlos Ruiz Zafon et son magnifique à « L’ombre du vent » ; sans oublier de saupoudrer le tout de sir Conan Doyle et de son légendaire Sherlock Holmes.



"La lecture va bien au-delà des mots. C’est la sensation que l’on éprouve en tournant les pages, en sentant le papier sous ses doigts, en le reniflant, en prenant conscience que d’autres l’ont lu avant nous et qu’ils en portent encore les traces." (p 313).
_________________________________________________________________________

Romancier danois né en 1968, Mikkel Birkegard vit à Copenhague. Après  « La librairie des ombres » (2010), véritable best-seller dans son pays, « Dans le livre des rêves » (2013)  est son deuxième roman paru aux éditions  Fleuve Noir. Ingénieur informaticien de profession, il a travaillé sept ans sur son dernier livre.
_________________________________________________________________________

samedi 27 janvier 2018

"Le grand Meaulnes" d'Alain-Fournier.


Une féerique aventure romanesque …

1913 - N.R.F - 1980 - Le livre de poche.
315 pages.



« Il arriva chez nous un dimanche de novembre 189… » : Petite phrase simple et claire qui donne déjà tout le mystère du livre. 
Augustin Meaulnes élève de 17 ans, que sa mère confie en pension aux Seurel, des instituteurs de Sainte-Agathe et parents du narrateur, François Seurel.  La calme vie de l’école est bouleversée, Meaulnes a le don de traîner le romanesque à ses semelles. Parti chercher les grands-parents Seurel à la gare, il somnole et s’égare. Il trouve refuge dans un mystérieux domaine où se joue une fête étrange – pêle-mêle d’enfants, de paysans et de bohémiens déguisés -  pour les fiançailles du fils du propriétaire, un certain Frantz de Galais. Une promenade a été organisée et Meaulnes aperçoit une belle jeune fille blonde, Yvonne de Galais, qui exerce aussitôt sur lui une étrange fascination. Mais la fête s’achève dans la mélancolie et la tristesse, Frantz revient seul et se confie à Meaulnes. De retour à sainte-Agathe, il cherche à localiser le domaine. Alors, pour quelques chapitres, le roman prend l’aspect d’une enquête. Un jour, un bohémien vient en aide au jeune homme, c’est Frantz de Galais. La quête du bonheur prend forme, celle de Meaulnes et celle de Frantz, intimement liées par un serment. Augustin Meaulnes retrouvera Yvonne grâce à François. Après le mariage, il part suite à l’appel de Frantz. Restée seule, avec Seurel, elle trouvera un confident. Un moment unique où se dévoile le sens de l’aventure, révèle le double regard de l’amour et de l’amitié ; un moment de dernier bonheur avant les tragiques épisodes de la fin. Je n'irai pas plus loin, il faut absolument lire ce livre. 

"Il lui sembla bientôt que le vent lui portait le son d'une musique perdue. C'était comme un souvenir plein de charme et de regret. Il se rappela le temps où sa mère, jeune encore, se mettait au piano l'après-midi dans le salon, et lui, sans rien dire, derrière la porte qui donnait sur le jardin, il l'écoutait jusqu’à la nuit ..." (p 75).

Ce roman  continue de m’émouvoir, j’y retrouve certains détails de la vie quotidienne : les soirées en famille, l’attente des jours de fête, une ancienne atmosphère d’école, la douceur poétique des promenades à la campagne, une nature complice. Ensuite, une aventure initiatique, un passage essentiel : celui de l’enfance heureuse  à l’adolescence où tous les rêves sont possibles, mais aussi tous les déchirements, les angoisses, l’amitié sincère et surtout l’amour fou. Mais aussi, les premières désillusions d’adulte s’installent.

Roman d’aventure, poétique, symbolique, récit initiatique, raconte une vraie quête d’un absolu toujours insaisissable !

J’aime le romantisme des personnages : leur nostalgie (le narrateur François), leur mélancolie, leurs passions (Frantz et  Augustin),  leur goût pour la solitude. Yvonne, personnage féminin incarne la candeur, la fraicheur la beauté, stéréotype même de la charmante princesse des contes de fées, une présence mystérieuse et fugitive, qui bouleverse Meaulnes et pourtant qui se révèle raisonnable, patiente et compréhensive.

"Souvent, plus tard, lorsqu'il s'endormait après avoir désespérément essayé de se rappeler le beau visage effacé, il voyait en rêve passer des rangées de jeunes femmes qui ressemblaient à celle-ci.. L'une avait un chapeau comme elle et l'autre son air un peu penché ; l'autre son regard si pur ; l'autre encore sa taille fine, et l'autre avait aussi ses yeux bleus ; mais aucune de ces femmes n'était jamais la grande jeune fille." (p 95)

 Même la nature possède des échos romantiques, les souvenirs personnels de l’auteur mystifient et embellissent les paysages de Sologne et du Berry. Une seule envie partir dans cette région et prendre ces sentiers, se perdre dans ces sous-bois et découvrir au détour d’un chemin de terre, une demeure vieillissante, figée dans le temps, cachée par du lierre envahissant et des rosiers sauvages. Et certainement pénétrer, ouvrir des portes, marcher sur la pointe des pieds et chercher les empreintes du passé et peut-être les vestiges d’une dernière fête !

Je possède toujours mon premier exemplaire, maintenant jauni, à la couverture légèrement cornée ; certains passages du livre sont soulignés ou cochés, juste pour me rappeler  le charme de ses phrases, la force évocatrice de ses mots. Un roman que je relis assez régulièrement avec le même plaisir, une nécessité pour mon bien-être imaginatif et assoiffé de nostalgie ;  jamais lassée par cette fiction aux allures de conte mystérieux, féerique  et idéaliste.

" Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et j’aime, et qui m’aime,
Et qui n’est chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend."

Paul Verlaine, « Mon rêve familier » « (poèmes saturniens, 1866).
_________________________________________________________________________

Henri Alban Fournier dit Alain-Fournier est né en 1886 en Sologne de parents instituteurs. Là se déroule une enfance heureuse auprès de parents instruits et d’une sœur adorée, Isabelle. En 1903, au lycée à Paris, il rencontre Jacques Rivière. C’est lé début d’une amitié profonde qui donnera lieu à une correspondance importante. Ecrire est sa passion. C’est en 1913 que le manuscrit du « Grand Meaulnes » est présenté aux éditeurs et rencontre un succès immédiat. Premier et unique roman ! Le 28 septembre 1914, Alain-fournier trouve la mort dans les tranchées, au cours de la Première Guerre Mondiale.
_________________________________________________________________________