samedi 21 mars 2020

"La route de Savannah Winds" de Tamara Mc Kinley.

C'est un récit poignant, un voyage entre passé et présent aux chemins bordés d'intrigues, habillés d'une aura mystérieuse.


Top lectrice  France Loisirs.

L'archipel 2019
Traduit de l'anglais par Danièle Momont.
392 pages.
Fleur, une jeune femme architecte d'une trentaine d'années vit en couple avec Greg, un chirurgien pédiatrique de renom. Son souhait le plus cher est de fonder une famille. Elle n'envisage pas d'avenir sans enfants. De son côté, Greg, refuse catégoriquement l'idée même d'être père ; il a songé à une vasectomie. Son enfance, faite de violences et de souffrances, l'a profondément marqué. L'incompréhension s'installe, les disputes douloureuses conduisent à une séparation. Du jour au lendemain, la jeune femme perd son emploi. Tout aussi soudainement, elle hérite d'une tante, Annie, dont elle ignorait l'existence. Un ranch "Savannah Winds" et ses terres, et un petit coin de paradis "Birdsong", la baie du martin-pêcheur. Avec ce subit héritage, cette énigmatique tante joint deux de ses journaux intimes. Son père, Don s'est toujours tu à son sujet. Ce don, tombé du ciel, complique les relations déjà tendues au sein de cette famille dominée par un père égoïste et indifférent. Fleur a aussi deux demi-sœurs plus âgées, Margot, femme de tête et Bethany, mère au foyer. Et une de ses nièces , Mélanie, traverse une période de jeune adulte, un peu houleuse. Fleur, bouleversée et intriguée part à la découverte de son héritage ...


C'est une belle histoire sur fond d'époustouflantes chevauchées dans le Nord-Est australien, dans un pays immense où la vie est rude pour ces propriétaires terriens et éleveurs. Le climat difficile et capricieux réduit bien souvent à néant des années de durs labeurs. Tempêtes, ouragans dévastateurs, saison de pluies diluviennes, et même des invasions de sauterelles se succèdent. Annie vit dans ce milieu abrupt dans les années trente. Une femme amoureuse, exceptionnelle, dotée d'un fort caractère et d'une belle âme. Empreinte de justice et de compassion, elle s’attache aux aborigènes, elle n'hésite pas à tendre la main aux plus démunis. Elle souffrira du silence et de la rancune de son frère. Charitable, elle lui pardonnera tout. A distance, elle s'intéresse à sa dernière nièce à qui elle confiera ses terres, la jugeant digne. Un héritage et un discernement lourds de conséquences pour l'avenir. Elle couche dans des carnets le déroulement de son existence faite de deuils, de combats et où pourtant l'amour prédomine. Il jaillit littéralement. Une vie de femme pas ordinaire dans une région du monde aux paysages bruts de splendeurs. Un personnage inoubliable. Par-delà la mort, elle veille sur sa nièce, Fleur. Celle-ci est partie à la découverte de ce don des plus étranges ; elle ouvre la boîte de Pandore et elle sort au grand jour des révélations foudroyantes pour son existence. La romancière nous surprend ! 

L'entourage de Fleur est l'archétype même de la famille aisée, engluée dans un univers superficiel où l'argent est le nerf de la guerre. Sa plume égratigne la figure paternelle, pas mise sous son plus beau jour. L'épisode de la nièce m'a en revanche un peu ennuyée ; un personnage peut-être pas forcément nécessaire à la trame du récit. Ses disputes avec sa mère sont d'une longueur ... 
Par bien des côtés, Fleur ressemble à sa tante. Cependant, Greg, son compagnon est touchant dans ses atermoiements personnels. Son enfance douloureuse, ses peurs et sa remise en question brossent le portrait d'un homme amoureux avec ses faiblesses et ses hésitations, assez loin de clichés.

Une saga familiale qui reste certes classique avec ses secrets de famille, ses mensonges et ses authentiques histoires d'amour. C'est aussi une lecture en deux temps, qui dénonce la condition des aborigènes, et fustige l'histoire des orphelins arrachés à l’Angleterre pour être réduits à l'état d'esclaves. Une évocation historique toute en finesse nous renvoie à un  passé peu glorieux de la colonisation. La guerre et ses ravages rappellent la solitude des femmes contraintes d'assumer seules toutes les tâches dans une contrée parfois vraiment inhospitalière. Les extraits des journaux permettent d'enrichissantes parenthèses historiques, la vraie force du roman.
La romancière nous offre une bien belle description de l'Australie, terre du bout du monde avec ses immensités sauvages et villes gigantesques entre nature luxuriante et exotique, préservée et entourée d'une mer turquoise de sable rose. Cette puissance évocatrice donne  des envies de vacances, de voyage paradisiaque et naturel.
Une lecture facile et très agréable dans l'ensemble ! Le présent équilibre et complète le passé. Deux très beaux portraits de femmes tiennent le devant de la scène. Une plume savoureuse et un récit maîtrisé sous les cieux australiens distillent une histoire familiale compliquée.

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Tamara Mc Kinley, romancière australienne, née en 1948, est reconnue dans le monde entier pour ses romans sentimentaux, historiques. Elle écrit aussi des thrillers psychologiques sous le nom de Tamara Lee. quelques unes de ses œuvres : "La dernière valse de Mathilda" (1999) - "Les fleurs du repentir" (2001) - "Éclairs d'été" (2003) - "Le chant des secrets" (2005) - "Une pluie d'étincelles" (2013) - ...
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lundi 2 mars 2020

"Les adieux à la reine" de Chantal Thomas.

Une immersion talentueuse dans les entrailles d'une monarchie vacillante et menacée. Un mélange de fiction et d'histoire où nous nous enivrons de nostalgie avec juste ce qu'il faut de légèreté.


Top lectrice France Loisirs.
2002 - Editions du seuil -  2019 - France Loisirs.
248 pages.


En 1810, l'occupation de Vienne par les troupes napoléoniennes rappelle à Agathe-Sidonie Laborde, ses années à la Cour de Versailles près de la reine Marie-Antoinette. Émigrée de la première heure, les trois journées suivant la prise de la Bastille l'obsèdent. Cet hiver rigoureux invite les fantômes d'une époque révolue. Le soleil n'irradiait plus Versailles de ses ors et ce "pays-ci" vivait ses dernières heures sans le savoir. La fin d'une dynastie se profile. A cette époque et dès sa première rencontre, elle voue une admiration et un respect sans limites à la reine. Seconde lectrice en titre, elle attend avec impatience leurs rencontres. La prise de la Bastille passe inaperçue le 14 juillet, une petite pluie accompagne ce jour et chacun vaque à ses occupations habituelles. Seule la rumeur persiste et l'annonce d'un réveil  exceptionnel du roi choque plus qu'elle n'inquiète. Pourtant, à la nuit, les rumeurs les plus angoissantes circulent. Une nuit blanche s'installe faite d'errances et de discussions les plus folles. Une liste de personnes à abattre se répand à mots couverts. Louis XVI refusera toute fuite malgré le souhait de Marie-Antoinette. Le 16 juillet, Versailles cesse de briller, ses courtisans fuient le navire en toute hâte. La reine fait ses adieux à sa grande favorite Madame de Polignac et notre jeune lectrice la suivra bien malgré elle, soumise aux ordres de sa majesté. Cette séparation lui déchire le cœur et malheureuse, elle quitte sa petite chambrette et ses livres adorés ; souffrant, silencieusement, elle aussi fait ses adieux à une reine aimée.Commence un périple épique en berline où les identités sont inversées pour mieux protéger la favorite de rencontres fâcheuses sur les routes de France. Rien n'est moins sûr, pourtant tout réussira. Cette fuite ne connaîtra pas de fin. L’exil sera définitif. La vie ne sera plus jamais la même ...


"Cet hiver terrible qui m'environne, cette neige perpétuelle et ce sentiment d'ensevelissement qu'elle produit, je les ressens comme la manifestation de mon grand âge, comme la marque extérieure de l'hiver profond et définitif qui me gagne." ( p 7) 

Nous revivons les dernières heures de Versailles, dans une ambiance surannée aux odeurs de poussière, aux sons étouffés sous les précipités et hésitants des courtisans. La panique gagne peu à peu les couloirs. Il est assez facile d'imaginer les galopades essoufflées de ces aristocrates d'une salle à l'autre. La prise de la Bastille est vécue de l'intérieur du château où les événements tardent à se faire connaître. L'incrédulité est totale, personne n'y croit vraiment, pas même la narratrice. Les émeutes parisiennes n'inquiètent pas vraiment. Et pourtant, en une nuit, le vernis se craquelle. La moitié du roman tourne autour de personnages peu connus et pas souvent cités. Les doutes, les craintes, les peurs et les joies d'Agathe nous la rendent attachante et agréable à suivre. Ce récit offre un mélange d'imaginaire et de réalité  chargé malgré tout de légèreté où nous nous enivrons de nostalgie. L'auteur nous entraîne dans les couloirs du palais sans s'éterniser sur la politique ; elle privilégie plutôt des personnages non connus ou des plus ordinaires. Nous rencontrons le capitaine de la grande ménagerie royale à l'odeur aussi puissante que celle de  ses protégés en bien mauvaise santé. Le lion et l'éléphant meurent comme une annonce sans détour des bouleversements à venir, une fin de l'absolutisme royal. Monsieur de Castelnau, l'amoureux transi de la reine résume à lui seul toute l’ambiguïté des sentiments que Marie-Antoinette suscitait.  Jamais d'indifférence, tout un panel d'amours et de haines se déchaînait.

Chantal Thomas nous propose un point de vue original sur ces trois journées capitales pour l'avenir funeste de Versailles. La jeune Agathe est proche de la Cour sans être de leur milieu ; elle reste malgré tout invisible et se transforme en témoin privilégié.Par ses descriptions, le roman reste très visuel, nous nous plongeons assez facilement dans ces temps révolus avec révérences, perruques poudrées et odeurs fortes qui chatouillent le nez.

Ce roman jette une peinture  saisissante des jours qui ont suivi la prise de la Bastille. Un portrait sans concession de Versailles et de ses habitants qui vivaient en vase clos, attachés aux pieds de leur souverain et loin des réalités de leur époque. Hors du temps, ils s'accrochent à leurs privilèges, forts de leur sang bleu qu'ils placent au-dessus de tout. Une image vive de décadence et de fin d'époque. Ce récit permet bien d'imaginer la panique et les angoisses des personnages quel que soit leur rang, face à une révolution, certes latente, mais violente et impossible à brider.

"Mon office, irrégulier, tenait à la phase la plus étale de la nuit. Il relevait de cette zone, redoutable, où ce qui vous est arrivé de pire revient et vous assaille à nouveau, vous tire vers le fond. De cette zone où l'on se noie. j'étais paresseuse de ce qui ne parvient pas à passer." ( p 95)

Une nouvelle vision de Marie-Antoinette et de la Cour de Versailles que tous les amoureux du siècle des Lumières apprécieront. Nous connaissons tous sa destinée cruelle et malheureuse et le roman gagne en émotions.

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Thomas Chantal (née en 1945), est une romancière, universitaire française. En 2002, elle a reçu le prix Fémina pour "les adieux à la reine". Aussi, philosophe, elle est spécialiste de la littérature du XVIIIè siècle. Quelques unes des ses œuvres : " La vie réelle des petites filles" (2010) -  "L'échange des princesses" (2013) -  "Souvenirs de la marée basse" (2017) - "East village blues" (2019).
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