jeudi 30 novembre 2017

"La pluie, avant qu'elle tombe" de Jonathan Coe.

Titre musical et  poétique d'une  chanson triste ...

2009 - Gallimard -2010 - Folio -
Traduit de l'anglais par Jamila et Serge Chauvin.
268 pages.


Tout commence avec le décès de Rosamond, la vieille tante de Gill. Elle laisse en héritage des cassettes enregistrées, destinées à une lointaine cousine, perdue de vue depuis des années : Imogen. Un vague souvenir d’une enfant aveugle. Après d’infructueuses recherches,  Gill décide d’écouter les enregistrements, entourée de ses deux filles Catharine et Elisabeth. 

"Puis il y eut une toux, un raclement de gorge ; et enfin une voix  qu’elles comptaient entendre, ce qui ne la rendait  pas moins fantomatique."  (p 37). 

Elles se plongent dans un passé familial inconnu.

D’une voix affaiblie par la maladie et empreinte de nostalgie, Rosamond raconte le récit de sa vie (ses amours avec Rebecca et Ruth)  de sa cousine Béatrix, de sa fille Théa et de sa petite-fille, Imogen Elle commente vingt photographies choisies par ordre chronologique. Par leurs descriptions soignées, elle dévoile les tranches de vies de plusieurs femmes sur trois générations. Le fil de sa vie se brise, elle s’épanche,  tente de s’excuser d’être restée le témoin passif des souffrances d’êtres aimés.

  "Pourquoi les photos – les photos de famille – donnaient-elles toujours aux gens un air si insondable ? Quels espoirs, quelles angoisses secrètes se dissimulaient derrière ce visage incliné avec tant d’assurance, derrière cette bouche arborant son sourire caractéristique et légèrement tordu ?"(p 23).

Elle tente d’expliquer l’histoire familiale à Imogen, ses origines, son identité, son pathétique accident qui l’a conduit à la cécité. Ses confidences d’outre-tombe mettent en scène des portraits féminins marqués par l’absence d’amour maternel et ses conséquences dramatiques. Histoire personnelle et grande histoire se rencontrent. Le Blitz à Londres, la vie rurale dans le comté du Shropshire, la perception de l’homosexualité appuient la destruction psychologique annoncée dès l’enfance transmise de génération en génération.    Une influence innée guiderait les destinées des personnes malgré elles, assujettissant et façonnant.  Les moments de joie s’accompagnent de musique, inlassablement écoutée « Les chants d’Auvergne » de Cantelouble, avec un air en particulier « Bailero » une région de France visitée, prétexte à des épisodes de bonheur inoubliable ou bien à une pause dans une existence remise en cause.

Un album de famille, toute simple en réalité : une caravane, une remise de diplôme, des disputes amoureuses, des vacances, une plage au bord d’un lac, des fêtes de fin d’année et sous-jacent des drames en veilleuse. Sur le bande son, les confessions donne le "la" au fil du temps qui passe inexorablement. Une touche de mystère surnaturel accentue le côté fataliste de l’existence. De fugitives visions et interprétations d’incidents, de coïncidences  favorisent la sensibilité naturelle et certainement génétique de Gill. Elle tente aussi de trouver une explication aux tragédies familiales. 

Sous une plume fine et intimiste, Jonathan Coe nous offre un mélodrame poétique et sombre ; une lecture touchante et inoubliable.

 La magie poétique des mots d’une enfant Théa :


"C’est ma pluie préférée. – Ta pluie préférée ??? … Eh bien moi, j’aime la pluie, avant qu’elle tombe."(p 164).

"Bien sûr que ça n’existe pas, elle a dit. C’est bien pour ça que c’est ma préférée. Une chose n’a pas besoin d’exister pour rendre les gens heureux, pas vrai ?" (p 165).

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Né en 1961, à Birmingham, en Angleterre, Jonathan Coe a fait ses études à Trinity Collège à Cambridge. Il a reçu le prix Femina Étranger en 1995 pour son quatrième roman, " Testament à l’anglaise"  et le prix Médicis Étranger en 1998 pour "La Maison du sommeil ". Sa prose se caractérise plus dans le registre satirique. Son roman, "la pluie, avant qu’elle tombe" surprend en 2007 ; le thème et le genre sont aux antipodes de ceux traités habituellement par le romancier. Exit les romans politico-satiriques et place à une saga familiale nostalgique, dramatique où se mêle une touche de romantisme, un  peu de symbolisme et beaucoup de fureur.
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dimanche 26 novembre 2017

"L'enfant du lac" de Kate Morton.

Une lecture envoûtante ...

2016 - Presses de la cité - 2017 - France Loisirs
Traduit de l'anglais (Australie) par Anne-Sylvie Homassel.
759 pages.



2003 – Sadie Sparrow, jeune policière londonienne, en vacances forcées, se réfugie chez son grand-père maternel dans les Cornouailles. Sa dernière enquête, l’a profondément affectée. Dans un appartement, son supérieur et elle ont trouvé une très jeune enfant, seule, apparemment abandonnée par sa mère. Elle refuse de croire à la fugue de la mère, s’investit personnellement, trop même et commet une faute. Sa vie privée se trouve des plus compliquées et un courrier l’ébranle et la jette dans les griffes d’un passé qu’elle essaie tant bien que mal d’oublier. Dans la campagne des Cornouilles, elle s’épuise en courses. Un jour, elle découvre un domaine magnifique où trône une imposante demeure, abandonnée par ses occupants et comme figée dans le temps. Subjuguée, sous le charme, elle cherche à en savoir plus.

"Leur maison est devenue notre palais de la Belle au bois dormant, en un sens." (p. 82).

1933 – A Loeanneth, « la maison du lac », pendant la fête du solstice d’été, le dernier né de la famille Edevane disparait. Enlevé, assassiné, Théo, onze mois, n’a jamais été retrouvé. L’enquête n’a jamais abouti ; laissant une famille à jamais brisée ; des parents et trois sœurs murés dans leurs silences et leurs souffrances.
Sadie, piquée au vif, désœuvrée et sensible au drame reprend l’enquête. Les multiples détails troublants aiguisent sa curiosité qui tourne vite à l’obsession.

" Leurs enfances avaient beau ne pas se ressembler, Sadie se sentait proche d’Eleanor Edevane. Elle avait conçu une certaine affection pour la jeune héroïne du conte, si loyale, si courageuse et cependant si espiègle : le genre de petite fille que Sadie enfant aurait voulu être." (p 190).

A Londres, Alice Edevane, seconde sœur de Théo, devenue auteur de romans policiers à succès, s’émeut d’apprendre qu’une personne s’intéresse à cette disparition. Les fantômes de son propre passé frappent à sa porte et sa jeunesse dans cette merveille maison du lac s’invite. Après le drame, elle n’est jamais revenue dans cette « maison du lac » si chère à son cœur.Parallèlement, avec le charme d’une grande conteuse, Kate Morton brosse le portrait d’Eleanor, personnage capital une mère, femme surprenante, bouleversante. La Première Guerre mondiale jette de noirs nuages sur son mariage avec le bel et généreux Anthony, rencontré et aimé dans des conditions follement romanesques ! Une enfant aussi, héroïne d’un conte féerique, écrit par un ami de son père, plongée dans des rêves fabuleux d’aventures et tellement attachée à Loeanneth, sa maison du lac et ses fabuleux jardins.

"… le passé, au mépris du temps, vous rattrapait toujours." (p 84), une petite phrase qui s’applique à tous les personnages de ce grand roman. Le passé guide leurs actes, pensées et chacun souffre et se brise à son contact quasi-permanent.

Chassés-croisés entre mensonges d’une nuit d’été, secrets enfouis, culpabilité, sacrifices et apparences à sauver ; tout ces allers et retours entre les différentes époques abordent : les deux guerres mondiales et leurs indélébiles traumatismes ; l’enfance avec ses joies, ses peines et ses désenchantements ; la nostalgie ; les souvenirs ; l’amour, ses joies, ses peines et déchirements ; et le rôle d’une femme, d’une mère, ses dualités et ses sacrifices, seule à décider et à protéger ceux qu’elle aime.

"Les libellules n’imaginent pas une seconde qu’elles puissent prévoir l’avenir. Elles volent de-ci, de-là, prenant plaisir à la caresse du soleil sur leurs ailes."  (p 203).

Les drames sonnent le glas des insouciances et des rêves propulsant l’enfance dans le monde des adultes.

Ce n’est pas un roman policier au sens propre, mais plutôt une quête, une soif d’absolution pour Sadie, un repos de l’âme pour Alice vieillissante. Le présent qui demande des réponses à un passé pour en finir avec ses questionnements sans fin.

Un roman d’atmosphère, au charme à l’anglaise, avec ses paysages des Cornouailles, ses vieilles demeures chargées de souvenirs et hantées par leurs secrets étouffés dans leurs pierres froides  rappellent par petites touches lointaines les décors des romans de Daphné du Maurier. De multiples rebondissements, des immersions dans l’intimité de chacun, récit polyphonique  nous enchainent à l’intrigue. Il est vraiment difficile de quitter ce récit, la dernière page tournée. Un final très surprenant, un beau jeu de coïncidences,  laisse pointer une petite lueur au fond d’un tunnel bien long.


"Vivant de surcroît à Loeanneth, maison riche de sa propre histoire ; ils devaient fatalement construire leurs propres vies comme des romans. Y manquait pourtant toujours un chapitre, le même, que personne n’avait jamais raconté." (p 495).


J’affectionne tout particulièrement ce genre de roman et Kate Morton excelle avec les récits d’atmosphère jouant à merveille avec les époques, les secrets de famille, sachant ouvrir avec finesse les tiroirs à mystère ; ensorcelant ses lecteurs avec ses descriptions de lieux et d’objets. Une subtile maitrise de style et de vocabulaire nous projette dans l’esprit de ses personnages et nous partageons de concert leurs joies et souffrances. Un de ses effets stylistique, la phrase nominale permet des raccourcis saisissants et traduit avec subtilité une idée et même une émotion !


"Théo. Les questions du journaliste, le photographe, Alice dans l’embrasure la porte." ( p 177).

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Kate Morton est née en Australie en 1976 ; titulaire d’une maîtrise sur la littérature victorienne, férue de littérature gothique est depuis toujours fascinée par les romans d’atmosphère. Son premier roman, Les Brumes de Riverton (Presses de la Cité, 2007), écrit à 29 ans, est un succès mondial, bientôt suivi par Le Jardin des secrets (2009) et Les Heures lointaines (2011), puis La Scène des souvenirs (2013), chez le même éditeur. Son dernier roman, L’Enfant du lac, parait aux Presses de la Cité en 2016. 
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