vendredi 16 avril 2021

"Reines de sang" de Philippa Grégory.

Milady - 2019 -
Traduit de l'anglais par Mathias Lefort.
730 pages.


Les Tudors , une famille digne d'une tragédie grecque , jettent dans ses arènes des jeunes filles en fleurs. 

Top lectrice France Loisirs. 

En pleine Renaissance, nous suivons l'existence des trois sœurs Grey  : Jane, Catherine et Mary. Henry VIII mort, son fils Edward monte sur le trône trop jeune. Sa constitution fragile relance les complots et intrigues à la Cour. Chaque parti possède son favori et dans ce cas plus précis des favorites. Il n'y a plus que des femmes pour prétendre au trône d'Angleterre. Tout d'abord, les filles du vieux monarque, Marie Tudor, fille de Catherine d'Aragon, première femme d'Henri VIII et répudiée. Fervente catholique, elle porte l'étendard des Papistes. Ensuite, Elisabeth, fille d'Anne Boleyn, exécutée par son époux et probablement victime des complots qui ont toujours ensanglanté la Cour. Elles ont été écartées de la succession par leur géniteur. Les trois jeunes sœurs Grey sont leurs cousines, prétendantes directes, par leur grand mère maternelle, dernière sœur d'Henri VIII. Jane préférait les études et considérait son éducation trop stricte. Elle a passé sa jeunesse auprès de Catherine Parr et de son époux Thomas Seymour. elle affichait une foi protestante sans faille, habitée par la parole divine. Promise à un héritier du clan Seymour, ses parents la marient finalement à Guilford Dudley, un des héritiers d'une famille plus en vue. Les complots et les ambitions de ses proches l'assoient sur le trône pour quelques jours. Elle fera partie des premières victimes de Marie Tudor, la reine sanglante. Catherine, sa sœur cadette, plus frivole , accorde son cœur à Edward Seymour et brave la reine Elisabeth. Sa vie sera faite de peurs et d'humiliations. Elle meurt en captivité à moins de trente ans. Mary, la benjamine, souffrant de nanisme, apparaît plus maligne et plus discrète. Seule, elle restera la dépositaire de la mémoire familiale.
-----
Le roman se scinde en trois parties, chacune des sœurs se raconte. Ces jeune filles ont été broyées par des guerres fratricides , manipulées comme de simples poupées de chiffon par leurs parents. Une vie, la vie tout simplement n'a pas vraiment de valeur. Leurs chères petites têtes blondes ne sont certes pas leur bien le plus précieux. Tant pis, si la hache tranche une existence dont l'aube pointait ses premiers rayons. Jane Grey, reine de neuf jours,  sur le trône de L'Angleterre n'avait pas encore dix sept ans.  Même si le trait est forcé sur sa foi et son côté martyr, il très difficile de ne pas s'émouvoir . L'Histoire a retenu seulement son supplice, rappelons nous la peinture de Paul Delaroche et l'horreur de son exécution. Jane comme Catherine se ressemblent, fières, opiniâtres ; elle s'obstinent, l'une dans sa foi, l'autre dans ses amours. Elles font fi des menaces. La petite dernière, Mary s'affirme, plus maligne, plus souple, mais toute aussi  passionnée. Autre temps, autres meurs, les portes de l'enfance se claquaient trop vite et ces jeunes filles faisaient preuve d'une grande maturité d'esprit, difficilement envisageable à notre époque.
Marie Tudor, colérique et revancharde ne recule devant aucune exécution pour affermir son pouvoir et sa foi catholique. Une guerre sans fin contre ses prétendus ennemis durera tout le long de son règne. Ce personnage a dû inspirer Lewis Caroll pour sa reine de cœur et son impressionnante réplique : "Qu'on lui tranche la tête". Je pourrais même avancer une certaine ressemblance physique ! Quant à sa non moins célèbre demi-sœur, la reine Elisabeth I, son auguste père ne peut vraiment pas la renier : autoritaire, colérique, avec juste ce qu'il faut ou ne faut pas pour son entourage, de paranoïa. La romancière brosse un portrait assez noir qui s'éloigne de l'image de grande souveraine que l'Histoire a pris l'habitude de retenir. La figure maternelle, Frances Brandon, fière de son sang bleu, estime que sa branche est la digne et unique héritière. La mort de sa fille ainée n'a pas laissé les traces d'un deuil sans fin. Une mère dure, autoritaire que ses aigreurs emporteront. 
Philippa Grégory a su, une fois de plus, rendre vie aux fantômes du passé. Accompagner ces jeunes femmes a été une formidable expérience de lecture, de beaux moments prenants, voire stressants. Sa plume efficace et sa grande érudition déroulent tout le faste, la fureur d'une époque lointaine. Une course au trône d'Angleterre des plus passionnante ! Retenir tous ces noms, titres et filiation donnent parfois le tournis.
Par bien des points, les intrigues, les trahisons, les meurtres et les guerres intestines  évoquent cette aussi célèbre famille grecque, les Atrides. La Renaissance anglaise aurait pu servir le théâtre classique et ses tragédies sans  fin ! Encore une preuve que la réalité dépasse la fiction. Les plus grands drames, les plus émouvantes histoires ses sont tous joués sur le grand échiquier de notre passé. Victor Hugo aurait pu s'emparer de l'existence des sœurs Grey et nous offrir une pièce romantique avec autant de panache que sa "Lucrèce Borgia", avec pour décor cette sinistre et angoissante Tour de Londres.
Un hommage vibrant à des jeunes femmes que la mémoire des hommes a oublié. Un voile pudique et rosi de honte a caché ses vies fauchées. 
Pour conclure, relevons le côté résolument féminin du récit, écrit par une femme, raconte des destins hors du commun de femmes fortes, dures et orgueilleuses. Tour à tour reines, même pour quelques jours, victimes, ou monstres sanglants, fières et inflexibles ; elles ont toutes osé s'imposer, régner, se coiffer de la couronne d'un des plus puissants royaume. 

________________________________________________________________________________

Philippa Grégory, née en 1954, à Nairobi, romancière britannique, est très souvent associée à la fiction historique de par son œuvre romanesque très prolifique. "Deux sœurs pour un roi" (2009) reste son roman le plus célèbre. Citons aussi : "La princesse blanche" (2014), "La princesse  d'Aragon" (2020).
________________________________________________________________________________

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire