dimanche 28 mars 2021

"Une île en orient" de Jenny Ashcroft.

Secrets de famille, mensonges, guerre et passions se déchirent dans un roman dramatique à outrance. Une histoire à couper le souffle ! Un suspense haletant, deux belles romances, deux époques et une histoire qui nous prennent aux tripes. Um bombardement émotionnel.

Top lectrice France Loisirs.

Milady - 2019 -
Traduit de l'anglais par Sébastien Baert.
599 pages.
En 1941, à Londres, sous les feux nourris du Blitz, Ivy Harcourt, travaille pour les services de renseignements de l'armée britannique. Polyglotte, elle parle l'allemand et aussi le japonais. Elle va survivre à deux évènements des plus traumatisants ; marquée  et choquée, elle accepte une mutation sur l'île de Singapour. La jeune femme quitte sa grand-mère Maé qui l'a élevée après le décès de ses parents. Elle quitte un pays meurtri par les bombardements. Après l'écoute des messages allemands, elle sera confrontée aux échanges des japonais. Autre lieu, autre guerre. A son arrivée, elle apprend que sa grand-mère a vécu à Singapour. Son chemin croise Kit, un militaire qui ne la laisse pas indifférente. Ivy réalise qu'elle ne connaît pas grand-chose du passé de son aïeule. De son côté, Maé angoisse pour sa petite fille et surtout, elle ne souhaite pas qu'elle rencontre des fantômes de son passé. Celui-ci la tourmente encore et le décès de son fils l'a brisée. L'histoire alterne donc entre la vie d'Ivy en 1941 et celle de Maé en 1897 et aussi d'Harriett, sa sœur jumelle. Elles sont le fruit d'une liaison d'un riche colon anglais et d'une domestique indienne. De vraies jumelles, unies et inséparables, mais au caractère très différent. Ivy rencontrera des figures du passé de sa grand-mère. Stupéfaite, elle cherchera des réponses. Pourquoi ces mensonges et ces secrets et que s'est-il vraiment passé ? Où est Harriett ? Qui est vraiment Maé ? La guerre omniprésente retarde les révélations.

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Les romans avec des secrets de famille restent mon genre de prédilection. Un réel péché mignon que je savoure. Une alternance entre passé et présent attise toujours ma curiosité et il m'est difficile de lâcher ces récits. Ce roman n'a pas dérogé à la règle. Une véritable pépite émotionnelle où le drame coule et serpente tout le long des chapitres jusqu'à une explosion finale où les révélations nous laissent bouleversés et pantois. Nous sommes forcément touchés par le destin de ces jumelles qu'elles ne maîtrisent pas. A cette époque, la condition féminine n'était pas des plus enviables. Continuellement sous tutelle, les femmes quittaient le joug paternel pour subir celui de leur mari. Une passation de pouvoir en quelque sorte. Bien souvent, elles se résignaient ou agissaient dans l'ombre ; l'heure des suffragettes n'avait pas encore sonné ! La romancière joue sur l'ambiguïté de la gémellité qui crée une histoire surprenante et intéressante. Cette partie du récit est sans aucun doute ma préférée, la psychologie des personnages plus fouillée et aboutie, la fiction plus dense et addictive. Aucun personnage n'est épargné, ils souffrent tous d'une manière ou d'une autre. Chacun tient sa place. Une résonnance que nos retrouverons bien des années plus tard. Nous ne pouvons pas nous empêcher de faire un certain parallèle entre la vie d'Ivy et celle de sa grand-mère. Jalousie, trahison saurent les générations ! Pour Maé et Harriett, le drame était joué d'avance, dès leur naissance ; il les suit et les condamne à beaucoup de souffrances. Un gâchis voulu par des hommes et des femmes aux attitudes mauvaises et aux principes ridicules. Leur destin ne doit rien à la fatalité ou à une mauvaise fée qui se serait penchée sur leur berceau. L'ère coloniale anglaise est décrite dans toute sa splendeur, ses mesquineries et sa cruauté. Leurs attitudes prennent des airs de thé mal infusé ; elles laissent un arrière-goût acide dans bouche.

Attention, le Seconde Guerre mondiale est bien présente avec son lot de morts et d'exactions violentes. J'appréhende toujours la lecture sur cet intervalle brutal et féroce de notre Histoire. Même, si la romance demeure le point d'orgue du roman ; il ne ressemble en rien à un récit pour "fleurs bleues". Ce genre d'écrit historique rend toujours hommage aux anonymes qui ont vécu pendant ces périodes. La plume de l'auteure fluide et concise nous embarque et ne nous lâche plus. Nous ressentons bien son plaisir d'écrire ; certainement mis en valeur par un travail de traduction remarquable. Nous oublions souvent de souligner le labeur assez difficile d'un traducteur. j'ai particulièrement apprécié la façon dont était relaté les traumatismes subis par Ivy pendant les bombardements. De simples échanges entre elle et son docteur, quelques souvenirs évitent la lourdeur de descriptions redondantes. Une manière habile nous suggère toute l'horreur de ces situations traumatisantes.

Pour conclure, il le faut bien . C'est un roman avec tous les codes du genre abordé.  Un voyage dans le temps, un chassé-croisé entre deux époques où la romance implose sous des fragrances de fleurs orientales aux parfums entêtants. La guerre griffe et meurtrit ceux et celles qui essaient de vivre leur passion. Nous sommes jetés dans une guerre mondiale aux mitrailles incessantes, dans des territoires occupés sous de somptueux paysages où les passions et quêtes intérieures sont magnifiées.

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Jenny Ashcroft, diplômée d'histoire s'est toujours intéressée au passé et a vécu plusieurs années en Asie et en Australie. Ses romans mélangent avec finesse les lieux exotiques et les grands évènements historiques qui affectent l'existence des personnes ordinaires. "Une île en orient" est son second roman (2019). 

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