vendredi 23 octobre 2020

"La prisonnière du diable" de Mireille Calmel.

2019 - XO Editions.
400 pages.

Un huis clos médiéval, une habile plongée dans une fiction historico-fantastique où nous jouons les détectives. La force, le courage et l'amour affrontent dans une lutte sans merci un vivier de ressentiments, de vengeance et de sorcellerie.

Top Lectrice France Loisirs.  

Fin de XVème siècle, caché sous les sables égyptiens, un ordre secret surveille une roue de pierre qui tourne sans cesse. Le jour où elle s'immobilise, Dieu délivre un lieu et nom d'une personne à exécuter. Possédée par Satan, elle doit mourir pour préserver l'équilibre du monde. Ainsi va depuis la nuit des temps. Ces lettres de feu et de sang, parviennent à Utelle, petit village près de Nice. Hersande, religieuse, responsable du sanctuaire Notre Dame et membre de l'ordre en est la dépositaire. Elle doute de la véracité du message et remet à plus tard l'exécution de la sentence. La messagère est retrouvée morte. Les terres avoisinantes appartiennent au baron Raphaël, seigneur rustre et énigmatique.  Myriam, jeune veuve d'un tailleur de pierre, élève tant bien que mal deux jeunes enfants. Elle est aussi, sur le point d'accoucher. Une conversation avec Benoit, tailleur de pierre comme feu son époux et aussi son cousin lui font douter de l'accident de travail. Ensemble, ils cherchent à comprendre.  Des phénomènes des plus étranges comment à troubler la tranquillité des villageois. De révélations en rebondissements, l'étau se resserre et la menace se précise ...

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La romancière a su exploiter les superstitions, les peurs créées par la religion au moyen-âge. Le fonds de commerce de toutes les aliénations et de tous les excès. L'histoire se déroule en 1494, fin de l'ère moyenâgeuse dans un petit village typique de cette époque avec château, son baron, un couvent et ses nonnes et toute une palette de villageois tels que l'aubergiste et ses filles, des ouvriers qui bâtissent une toute nouvelle église. Un chantier très représentatif de l'époque, le temps des cathédrales et monuments religieux en tous genres. Myriam, le personnage phare du roman, fait face au dur quotidien avec beaucoup de dignité et de courage. Hersande, dans un autre genre est du même acabit. femme forte, elle ne panique pas face aux agissements du Malin. Elle garde un sang-froid exceptionnel au vu de situations violentes et surnaturelles. Ma petite préférée est la jeune Margaux, la fillette de Myriam qui aide beaucoup sa mère dans les tâches journalières, surveille son tout jeune frère. Elle fait surtout preuve d'une grande maturité d'esprit pour son jeune âge. A cette époque, les voiles l'enfance se levaient très vite et l'existence âpre et violente jetait facilement ces chères têtes blondes dans le monde des adultes et les dures lois de la réalité. 

Un récit polyphonique où la psychologie de chaque personnage est bien construite. Au fil des pages, nous suivons avec plaisir, leurs joies, leurs amours, leurs difficultés dans la vie de tous les jours. Avec regret, nous découvrons aussi leurs faiblesses et leurs rancœurs qui auront de terribles répercussions.  Une lecture facile et agréable. Un certain choix de vocabulaire renforce le côté historique en totale adéquation avec l'époque choisie.

Pourtant, le roman achevé, une impression de manque s'installe ... Même si le rythme est soutenu, les apparences ne trompent pas beaucoup. Une absence totale de chair de poule et de frissons que nous sommes en droit d'attendre avec la présence du plus bel ange déchu. Une sorcière et une pauvre âme possédée servent leur maître qui manque de souffle, de noirceur et de rouerie. Une fatigue de fin de siècle, peut-être !!!  Malgré cette petite critique, le roman reste un bon policier historique à lire et il mérite d'être découvert. Il possède tous les atouts pour nous ensorceler. Un contexte médiéval avec de la religion, de la magie noire, des secrets, de la jalousie et des mensonges.  Les multiples rebondissements nous font douter de la bonne foi des personnages. Le côté ésotérique lance une intrigue plutôt sulfureuse et amène un élan spontané à l'histoire. Nous nous laissons prendre au jeu et nous jouons les détectives amateurs. Le mélange de fantastique, teinté de mythologie apporte une dimension intéressante au récit. Un combat entre le bien et le mal avec juste ce qu'il faut de bravoure et de sacrifices. Les personnages principaux sont des femmes fortes. Elles prennent leur destin en main et les hommes restent en second plan, une sorte de faire valoir.

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Mireille Calmel  - 1964, Martigues - écrit des romans aux héroïnes fières, courageuses et aux tempéraments bien trempés. Un succès jamais démenti ! Un petit rappel pêle-mêle de quelques unes de ses œuvres : le lit d'Aliénor, le bal des louves, Les lionnes de Venise, le chant des sorcières, Lady Pirate.

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jeudi 22 octobre 2020

"La légende de Grace Darling" de Hazel Gaynor.


2019 - Bragelonne, Milady.
Traduit de l'anglais par Fabienne Vidallet.
442 pages.
 La vie, telle la mer berce et malmène deux jeunes femmes romantiques à deux époques distinctes. 

Top lectrice France Loisirs.

Sous l'allure fière et les lumières rassurantes des phares, nous découvrons un métier fait de passion, de rigueur. Un face-à-face avec l'immensité des flots, perché entre mer et ciel. Un gardien de phare se sent plus libre que prisonnier. Grace Darling, telle une fée des houles se dresse face à une mer déchaînée pour sauver des naufragés. En septembre 1838, au large des côtes du Nothumberland, une violente tempête brise un navire.  Elle n'écoute que son cœur, fait fi de ses craintes et elle aide son père pour tente l'impossible et ramener les quelques survivants. Sa vie  simple et libre de tous les carcans de la société s'en trouve modifiée. L'île perd de sa tranquillité. Beaucoup de sollicitations, des artistes viennent brosser son portrait, elle est submergée de courriers, de cadeaux, voire même de demandes en mariage. Une véritable héroïne nationale. Toute cette agitation et ce bruit la contrarient et elle n'aspire qu'à retrouver sa chère tranquillité. Sans entraves, Grace s'épanouit dans une nature brute et sauvage, parfumée par les embruns marins sur sa très chère ile. Elle se plaît à parcourir les terres balayées par les vents où ses nuits se bercent des murmures des vagues. Rien ne pourra l'arracher à ce coin de paradis où la main de l'homme ne s'est pas imposée. Pourtant, cette jeune femme en herbe, vivra ses premiers et uniques émois amoureux auprès d'un jeune peintre, George Emmerson. Celui-ci se trouve être le frère se Sarah Dawson. Jeune veuve, elle venait rejoindre son frère en Ecosse. Les eaux sombres  déchaînées lui ont ravi ses deux jeunes enfants. Grace lui remettra un manuel à l'usage des gardiens de phares. Un livre qui se transmettra de génération en génération. Avant de quitter l'Angleterre pour les Etats-Unis, Sarah lui confiera son médaillon vide des portraits de ses enfants. 
Grace est un personnage tout en poésie. Quelques Alexandrins lui rendraient hommage et glorifieraient sa belle âme ! Un ange est passé sur terre ! Trop tôt disparu. 

Cent ans plus tard, Matilda tentera de percer les liens, les ressemblances au travers de lettres et de portraits. Elle fuit l'Irlande après une malheureuse aventure et une grossesse dès plus embarrassante pour sa famille. Harriett, une cousine inconnue l'héberge à Long Island. Une gardienne de phare, solitaire  et aigrie, la vie l'a meurtrie et blessée. Tel un coquillage agressé par le sel, elle se referme sur elle-même. Matilda forcera des portes pour mieux comprendre et aussi pour mieux s'assumer. Ses curiosités remettront en question son existence et ses certitudes. Un secret de famille, des aveux troublants d'Harriett lui permettront d'envisager une nouvelle vie avec son bébé.
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Ce roman nous renvoie aussi à nos promenades solitaires où nous ramassions coquillages, galets blancs et verres colorés polis par la mer. Une envie de solitude et de paix nous étreint. Une envie farouche d'embruns, d'odeurs de bords de mer et de vents ébouriffants nos cheveux nous appellent avec force ! Le phare et sa lucarne se dressent face à l'horizon et l'avenir, et chaque personnage est une pierre vivante pour son édifice. La romancière a su magnifiquement mêler réalité et fiction ; son imagination ne nie pas le fait divers, mais a su lui donner une autre aura.  Deux des personnages ont vraiment existé : Grace Darling et Mme Dawson (une rescapée). Les mots nous bercent comme le chant de la mer qui nou enveloppe de son étreinte fluide et fuyante. Un bon roman à savourer sur une plage de sable fin à l'aube ou au crépuscule d'un jour ou d'une nuit.

A toutes époques, les îles ont fasciné les hommes. Ce récit rend hommage à une nature brute, accueillante et parfois cruelle. Les personnages ont eu tous besoin à un moment donné de leur existence de solitude, de paix intérieure pour se remettre en question et surtout aborder l'avenir sous un autre angle. Une histoire de femmes, un tour résolument féministe où des jeunes femmes se veulent libres de décider de leur destin, de briser des codes d'une société étouffante et blessante. Un vent d'émancipation souffle, sans faire trop de vagues et sans violence !

Cette lecture ressemble à m'y méprendre à un coup de cœur ! La mer, la nature sauvages et imprévisibles m'ont transporté ver des rivages de joie,. J'ai été rejeté sur des plages de tristesse. Les marées et les vents m'ont balloté dans des écumes de soupirs et de larmes salées. La vie, le temps, telle l'eau, s'écoulent sans fin et retenue vers des horizons, des destins où seul un grain de sable transporte nos personnages vers des tempêtes de désolations et de fureurs.  

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Hazel Gaynor, romancière britannique, passionnée par Jane Austen et les soeurs Brontë, écrit depuis sa jeunesse. Ses romans ont été traduits dans de nombreux pays et ils ont remporté de nombreux prix. Malheureusement, "La légende de Grace Darling", est le seul de ses récits traduit en français (2018).
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mardi 20 octobre 2020

"La prisonnière du temps" de Kate Morton.

2019 - Presses de la Cité - traduit de l'anglais(Australie) par Anne-Sophie Homassel - 616 pages.
2019 - Presses de la Cité.
Traduit de l'anglais (Australie par Anne-Sophie Homassel.)
616 pages.

Un vrai coup au cœur, Kate Morton nous offre une œuvre inoubliable, enchanteresse où elle exprime à merveille ses talents de conteuse. Le temps a suspendu son envol et j'ai apprécié.

Top lectrice France Loisirs.

Dans un souffle froid, une dame blanche, appelons-la Lily, se confie et se remémore sa vie et celles des vivants qu'elle a croisés. Une invisible spectatrice, dans un temps suspendu pour l'éternité, les mécanismes de son horloge se sont brisés.

Tic-tac, le temps défile dans un sens ou dans un autre ...

Une fiction éblouissante tisse sa toile d'araignée où chaque fil nous entraîne à la suite d'Elodie Winslow, jeune archiviste londonienne qui délaisse tout après la découverte d'un carnet de croquis et d'une vieille photographie. Elle se lance dans une quête obsessionnelle. L'horloger au service temps, joue avec les petites et grandes aiguilles et les vies passées se brodent de nouveau dans cette grande toile. 

J'ai savouré chaque mot, chaque phrase, chaque chapitre. J'ai même ralenti ma lecture, pris mon temps et relu plusieurs fois certains passages. La magie a opéré ...C'est un délice littéraire, un  grand roman d'atmosphère. Un tourbillon de vies qui se délie et s'attache tous à une vieille maison où les personnages puisent réconfort face aux tourmentes de l'histoire et laissent couler leurs souffrances face à la mort d'un être cher. Kate Morton a su réinventer le roman gothique avec juste ce qu'il faut de crépusculaire et d'inquiétant. Une âme prisonnière qui déambule sans fin dans les couloirs poussiéreux et humides d'un manoir anglais figé dans le temps. Un musée qui se dresse à la mémoire d'un peintre trop tôt disparu ; mort noyé après des années d'errance à la recherche de son grand amour perdu après une nuit d'orage. Nous n'aurons jamais son point de vue, ni son existence ne sera décrite comme pour accentuer l'image de génie et d'amant maudit. Adolescent à l'imagination fertile, il prétendra avoir été poursuivi par un démon dans les bois, guidé et sauvé in extrémis par une lumière brillant à une fenêtre d'un grenier. C'était Birchwood Manor et sa légende des enfants de fées. Cette même lumière se manifestera à d'autres personnages au cours de l'histoire. La reine des fées Titiana, souveraine des songes, n'est pas loin. Il me semble entendre son char suivre l'ombre de la nuit !   

L'horloge du temps s'affole et tourne dans tous les sens pour nous présenter tour à tour des personnages qui séjourneront dans le manoir à la croisée de  leurs vies, liés les uns aux autres par les hasards de l'existence. L'auteur s'est plu à semer des petits cailloux blancs sur sa partition romanesque, autant de clins d'œil à d'autres romans. Son prince pâle sous trois accords nous emporte vers "le jardin secret" de Frances Hodgson Burnett avec le cousin de la petite Mary exilée de ses Indes natales (connotation avec Ada !) qui vit reclus dans sa chambre. Mary ou Birdie font sa connaissance et une forte amitié se nouera. Notre dame blanche, mélodieuse et ensorcelante Birdie, est une petite sœur sous bien des côtés d'Elisabeth Sidal, muse et femme de Dante Gabriel Rossetti. Une femme à la beauté éclatante qui a su charmer à son époque bien des peintres et inspire encore de nos jours nombres de romanciers. J'extrapole peut-être, mais le temps perdu, le temps retrouvé, le long fleuve de la vie qui s'écoule sans fin m'a suggéré quelques clins d'œil à l'œuvre majeure de Marcel Proust. Un choix qui s'est insinué avec la révélation du vrai prénom de Birdie-Lilly. A bien y réfléchir, une identité somme toute logique !

Après un tel roman, un maelström d'émotions tourbillonne sous mon crâne. J'espère trouver un jour mon Birchwood Manor et sa cachette sous l'escalier. Je me glisserai au sol sans bruit. J'attendrai les derniers rayons du soleil crépusculaire, je gratterai trois fois aux parois de bois vieillis, dans l'attente d'un signe. Et là, sous une certaine atmosphère un peu oppressante et fraîche, je murmurerai à cet oisillon perdu, des mots de réconfort. "N'oublie jamais ton existence passée, ni ceux qui l'ont traversée, chuchote le prénom de ton grand amour. Peut-être entendra-t-il ta douce voix et émergera de cette grande nuit d'oubli.  Vous aurez alors l'éternité plus un jour pour vous aimer comme l'a écrit un certain William, très célèbre." Peut-être, aussi, sera-t-elle encline à d'autres confidences et je pourrai ainsi me blottir dans les bras de ces mousselines jaunies du passé. Le temps sera retrouvé pour les uns et suspendu pour une autre ... Ensuite, je m'endormirai bercée par cette voix d'outre-tombe, ou bien, je furèterai à la recherche de cette horloge, unique cadeau d'Edward, seule possession de Lily en ce bas monde. En partant, je saluerai le grenier éclairé. 

Vous soupirez et vous vous dites : tout est est bien excessif. Non, lisez donc et vous verrez ! Vous ne regarderez plus de la même façon un érable et son coin ombragé qui appelle au repos ...

Comme une virtuose, seule, sur scène, Kate Morton a peint un roman à l'ambiance si particulière, empreinte de mystères où se révèlent des personnages aux destins liés au gré des brises du vent où soufflent des murmures d'un autre âge. Elle possède un sens aigu du mystère et de la magie des lieux ; elle sait créer une histoire et surtout dresser une atmosphère exceptionnelle. Un conte certes un peu complexe, mais tellement envoûtant ...

Comme j'aimerais posséder la plume de Kate Morton et juste un soupçon de son génie romanesque.  Cette grande conteuse nous happe dans une symphonie de portraits croisés, lumineux, touchants sous les frôlements et les murmures d'un esprit féminin, prisonnier dans l'entre deux mondes. Une évocation toute en finesse de maison hantée qui ensorcelle les esprits et relancer le sujet épineux de la vie après la mort. Une vision toute poétique des âmes qui restent parmi nous, sans brutalité, ni horreur ; juste en murmures et souvenirs à qui sait écouter ... Juste une ébauche de conseil, lisez ce roman avec en fond "La symphonie fantastique" de Berlioz, la magnificence de ce récit en est sublimée ! 

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Kate Morton, est née en Australie en 1976 ; titulaire d’une maîtrise sur la littérature victorienne, férue de littérature gothique, est depuis toujours fascinée par les romans d’atmosphère. Son premier roman, Les Brumes de Riverton (Presses de la Cité, 2007), écrit à 29 ans, est un succès mondial, bientôt suivi par Le Jardin des secrets (2009) et Les Heures lointaines (2011), puis La Scène des souvenirs (2013),  L’Enfant du lac, parait aux Presses de la Cité en 2016. Son petit dernier et non des moindres en 2019 sous le titre de La prisonnière du temps.

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samedi 21 mars 2020

"La route de Savannah Winds" de Tamara Mc Kinley.

C'est un récit poignant, un voyage entre passé et présent aux chemins bordés d'intrigues, habillés d'une aura mystérieuse.


Top lectrice  France Loisirs.

L'archipel 2019
Traduit de l'anglais par Danièle Momont.
392 pages.
Fleur, une jeune femme architecte d'une trentaine d'années vit en couple avec Greg, un chirurgien pédiatrique de renom. Son souhait le plus cher est de fonder une famille. Elle n'envisage pas d'avenir sans enfants. De son côté, Greg, refuse catégoriquement l'idée même d'être père ; il a songé à une vasectomie. Son enfance, faite de violences et de souffrances, l'a profondément marqué. L'incompréhension s'installe, les disputes douloureuses conduisent à une séparation. Du jour au lendemain, la jeune femme perd son emploi. Tout aussi soudainement, elle hérite d'une tante, Annie, dont elle ignorait l'existence. Un ranch "Savannah Winds" et ses terres, et un petit coin de paradis "Birdsong", la baie du martin-pêcheur. Avec ce subit héritage, cette énigmatique tante joint deux de ses journaux intimes. Son père, Don s'est toujours tu à son sujet. Ce don, tombé du ciel, complique les relations déjà tendues au sein de cette famille dominée par un père égoïste et indifférent. Fleur a aussi deux demi-sœurs plus âgées, Margot, femme de tête et Bethany, mère au foyer. Et une de ses nièces , Mélanie, traverse une période de jeune adulte, un peu houleuse. Fleur, bouleversée et intriguée part à la découverte de son héritage ...


C'est une belle histoire sur fond d'époustouflantes chevauchées dans le Nord-Est australien, dans un pays immense où la vie est rude pour ces propriétaires terriens et éleveurs. Le climat difficile et capricieux réduit bien souvent à néant des années de durs labeurs. Tempêtes, ouragans dévastateurs, saison de pluies diluviennes, et même des invasions de sauterelles se succèdent. Annie vit dans ce milieu abrupt dans les années trente. Une femme amoureuse, exceptionnelle, dotée d'un fort caractère et d'une belle âme. Empreinte de justice et de compassion, elle s’attache aux aborigènes, elle n'hésite pas à tendre la main aux plus démunis. Elle souffrira du silence et de la rancune de son frère. Charitable, elle lui pardonnera tout. A distance, elle s'intéresse à sa dernière nièce à qui elle confiera ses terres, la jugeant digne. Un héritage et un discernement lourds de conséquences pour l'avenir. Elle couche dans des carnets le déroulement de son existence faite de deuils, de combats et où pourtant l'amour prédomine. Il jaillit littéralement. Une vie de femme pas ordinaire dans une région du monde aux paysages bruts de splendeurs. Un personnage inoubliable. Par-delà la mort, elle veille sur sa nièce, Fleur. Celle-ci est partie à la découverte de ce don des plus étranges ; elle ouvre la boîte de Pandore et elle sort au grand jour des révélations foudroyantes pour son existence. La romancière nous surprend ! 

L'entourage de Fleur est l'archétype même de la famille aisée, engluée dans un univers superficiel où l'argent est le nerf de la guerre. Sa plume égratigne la figure paternelle, pas mise sous son plus beau jour. L'épisode de la nièce m'a en revanche un peu ennuyée ; un personnage peut-être pas forcément nécessaire à la trame du récit. Ses disputes avec sa mère sont d'une longueur ... 
Par bien des côtés, Fleur ressemble à sa tante. Cependant, Greg, son compagnon est touchant dans ses atermoiements personnels. Son enfance douloureuse, ses peurs et sa remise en question brossent le portrait d'un homme amoureux avec ses faiblesses et ses hésitations, assez loin de clichés.

Une saga familiale qui reste certes classique avec ses secrets de famille, ses mensonges et ses authentiques histoires d'amour. C'est aussi une lecture en deux temps, qui dénonce la condition des aborigènes, et fustige l'histoire des orphelins arrachés à l’Angleterre pour être réduits à l'état d'esclaves. Une évocation historique toute en finesse nous renvoie à un  passé peu glorieux de la colonisation. La guerre et ses ravages rappellent la solitude des femmes contraintes d'assumer seules toutes les tâches dans une contrée parfois vraiment inhospitalière. Les extraits des journaux permettent d'enrichissantes parenthèses historiques, la vraie force du roman.
La romancière nous offre une bien belle description de l'Australie, terre du bout du monde avec ses immensités sauvages et villes gigantesques entre nature luxuriante et exotique, préservée et entourée d'une mer turquoise de sable rose. Cette puissance évocatrice donne  des envies de vacances, de voyage paradisiaque et naturel.
Une lecture facile et très agréable dans l'ensemble ! Le présent équilibre et complète le passé. Deux très beaux portraits de femmes tiennent le devant de la scène. Une plume savoureuse et un récit maîtrisé sous les cieux australiens distillent une histoire familiale compliquée.

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Tamara Mc Kinley, romancière australienne, née en 1948, est reconnue dans le monde entier pour ses romans sentimentaux, historiques. Elle écrit aussi des thrillers psychologiques sous le nom de Tamara Lee. quelques unes de ses œuvres : "La dernière valse de Mathilda" (1999) - "Les fleurs du repentir" (2001) - "Éclairs d'été" (2003) - "Le chant des secrets" (2005) - "Une pluie d'étincelles" (2013) - ...
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lundi 2 mars 2020

"Les adieux à la reine" de Chantal Thomas.

Une immersion talentueuse dans les entrailles d'une monarchie vacillante et menacée. Un mélange de fiction et d'histoire où nous nous enivrons de nostalgie avec juste ce qu'il faut de légèreté.


Top lectrice France Loisirs.
2002 - Editions du seuil -  2019 - France Loisirs.
248 pages.


En 1810, l'occupation de Vienne par les troupes napoléoniennes rappelle à Agathe-Sidonie Laborde, ses années à la Cour de Versailles près de la reine Marie-Antoinette. Émigrée de la première heure, les trois journées suivant la prise de la Bastille l'obsèdent. Cet hiver rigoureux invite les fantômes d'une époque révolue. Le soleil n'irradiait plus Versailles de ses ors et ce "pays-ci" vivait ses dernières heures sans le savoir. La fin d'une dynastie se profile. A cette époque et dès sa première rencontre, elle voue une admiration et un respect sans limites à la reine. Seconde lectrice en titre, elle attend avec impatience leurs rencontres. La prise de la Bastille passe inaperçue le 14 juillet, une petite pluie accompagne ce jour et chacun vaque à ses occupations habituelles. Seule la rumeur persiste et l'annonce d'un réveil  exceptionnel du roi choque plus qu'elle n'inquiète. Pourtant, à la nuit, les rumeurs les plus angoissantes circulent. Une nuit blanche s'installe faite d'errances et de discussions les plus folles. Une liste de personnes à abattre se répand à mots couverts. Louis XVI refusera toute fuite malgré le souhait de Marie-Antoinette. Le 16 juillet, Versailles cesse de briller, ses courtisans fuient le navire en toute hâte. La reine fait ses adieux à sa grande favorite Madame de Polignac et notre jeune lectrice la suivra bien malgré elle, soumise aux ordres de sa majesté. Cette séparation lui déchire le cœur et malheureuse, elle quitte sa petite chambrette et ses livres adorés ; souffrant, silencieusement, elle aussi fait ses adieux à une reine aimée.Commence un périple épique en berline où les identités sont inversées pour mieux protéger la favorite de rencontres fâcheuses sur les routes de France. Rien n'est moins sûr, pourtant tout réussira. Cette fuite ne connaîtra pas de fin. L’exil sera définitif. La vie ne sera plus jamais la même ...


"Cet hiver terrible qui m'environne, cette neige perpétuelle et ce sentiment d'ensevelissement qu'elle produit, je les ressens comme la manifestation de mon grand âge, comme la marque extérieure de l'hiver profond et définitif qui me gagne." ( p 7) 

Nous revivons les dernières heures de Versailles, dans une ambiance surannée aux odeurs de poussière, aux sons étouffés sous les précipités et hésitants des courtisans. La panique gagne peu à peu les couloirs. Il est assez facile d'imaginer les galopades essoufflées de ces aristocrates d'une salle à l'autre. La prise de la Bastille est vécue de l'intérieur du château où les événements tardent à se faire connaître. L'incrédulité est totale, personne n'y croit vraiment, pas même la narratrice. Les émeutes parisiennes n'inquiètent pas vraiment. Et pourtant, en une nuit, le vernis se craquelle. La moitié du roman tourne autour de personnages peu connus et pas souvent cités. Les doutes, les craintes, les peurs et les joies d'Agathe nous la rendent attachante et agréable à suivre. Ce récit offre un mélange d'imaginaire et de réalité  chargé malgré tout de légèreté où nous nous enivrons de nostalgie. L'auteur nous entraîne dans les couloirs du palais sans s'éterniser sur la politique ; elle privilégie plutôt des personnages non connus ou des plus ordinaires. Nous rencontrons le capitaine de la grande ménagerie royale à l'odeur aussi puissante que celle de  ses protégés en bien mauvaise santé. Le lion et l'éléphant meurent comme une annonce sans détour des bouleversements à venir, une fin de l'absolutisme royal. Monsieur de Castelnau, l'amoureux transi de la reine résume à lui seul toute l’ambiguïté des sentiments que Marie-Antoinette suscitait.  Jamais d'indifférence, tout un panel d'amours et de haines se déchaînait.

Chantal Thomas nous propose un point de vue original sur ces trois journées capitales pour l'avenir funeste de Versailles. La jeune Agathe est proche de la Cour sans être de leur milieu ; elle reste malgré tout invisible et se transforme en témoin privilégié.Par ses descriptions, le roman reste très visuel, nous nous plongeons assez facilement dans ces temps révolus avec révérences, perruques poudrées et odeurs fortes qui chatouillent le nez.

Ce roman jette une peinture  saisissante des jours qui ont suivi la prise de la Bastille. Un portrait sans concession de Versailles et de ses habitants qui vivaient en vase clos, attachés aux pieds de leur souverain et loin des réalités de leur époque. Hors du temps, ils s'accrochent à leurs privilèges, forts de leur sang bleu qu'ils placent au-dessus de tout. Une image vive de décadence et de fin d'époque. Ce récit permet bien d'imaginer la panique et les angoisses des personnages quel que soit leur rang, face à une révolution, certes latente, mais violente et impossible à brider.

"Mon office, irrégulier, tenait à la phase la plus étale de la nuit. Il relevait de cette zone, redoutable, où ce qui vous est arrivé de pire revient et vous assaille à nouveau, vous tire vers le fond. De cette zone où l'on se noie. j'étais paresseuse de ce qui ne parvient pas à passer." ( p 95)

Une nouvelle vision de Marie-Antoinette et de la Cour de Versailles que tous les amoureux du siècle des Lumières apprécieront. Nous connaissons tous sa destinée cruelle et malheureuse et le roman gagne en émotions.

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Thomas Chantal (née en 1945), est une romancière, universitaire française. En 2002, elle a reçu le prix Fémina pour "les adieux à la reine". Aussi, philosophe, elle est spécialiste de la littérature du XVIIIè siècle. Quelques unes des ses œuvres : " La vie réelle des petites filles" (2010) -  "L'échange des princesses" (2013) -  "Souvenirs de la marée basse" (2017) - "East village blues" (2019).
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jeudi 20 février 2020

"Marie-Antoinette, carnet secret d'une reine" de Benjamin Lacombe.

Un pinceau, des couleurs et un trait de génie servent à merveille la plus célèbre reine de France, Marie-Antoinette.


Top lectrice France Loisirs.

2018 - Editions Soleil (collection Métamorphose)
2019 - France Loisirs.
125 pages.
En quatre chapitres, les grandes lignes de l'existence de Marie-Antoinette se dessinent. Cécile Berty, historienne, signe la préface, et sous son égide, l'auteur Benjamin Lacombe, artiste génial, associe des extraits de la correspondance de marie-Thérèse d’Autriche adressée à sa royale fille avec des brides d'un carnet secret fictif tenu par Marie-Antoinette. Les superbes illustrations habillent le texte et accentuent l'idée grand siècle. Marie-Antoinette écrit sur tout, de courts textes, des phrases concises sur son arrivée en France, ses débuts à la Cour, sa vie à Versailles. Des écrits intimes sans voyeurisme survolent son existence par petites touches. Sa vie privée particulière s'esquisse, son mariage difficile, ses bonheurs, Trianon, ses plaisirs futiles prennent vie. Mais aussi, se peint les tableaux de ses douleurs, la mort de deux de ses enfants, les folles cabales à son encontre, le désastre de la Révolution, son emprisonnement et sa mort.

Les différents tableaux nous offrent une vision très onirique de la reine. Le personnage est amplifié, rajeunit et intemporel. Après une nuit peuplée de rêves des plus étranges, au réveil, il ne nous reste plus que des plans, des images d'une femme au regard fixe et fantasmagorique dans des situations de contes macabres. Je pense notamment à la reproduction montrant Marie-Antoinette endeuillée et entourée de corbeaux dans une ambiance sombre et lugubre et annonciateur d'heures sombres et dévastatrices. Les dessins et le choix des couleurs expriment un symbolisme très fort, plus révélateur que des mots. La reine, assise, blafarde sur son lit d'apparat entourée de ses petits chiens, seule et droite, se laisse enlacée et entravée par un rosier aux fleurs magnifiques et rouges aux épines acérées et blessantes. Timidement, l'humour passe la porte lorsque est présenté les fameux "poufs", des coiffures excentriques et vertigineuses, si célèbres à cette époque. La reproduction des lettres de l'archi-duchesse, Marie-Thérèse, rappelle les devoirs d'une reine, ses obligations et la forte personnalité d'une mère impériale et omnisciente. En opposition, le journal fictif brosse le portrait d'une jeune femme jetée trop tôt dans un univers  particulier et étouffant qui préfère s'étourdir de bals, jeux, bijoux, colifichets et dentelles superficielles. Marie-Antoinette, enfermée dans une cage dorée avec pour seule échappatoire son petit cocon personnel : Trianon. Merci à Benjamin Lacombe pour ses hommages aux grands peintres de l'époque tels que Madame Vigée-Lebrun et Monsieur Fragonard. Je ne le remercierai pas pour  ma taille de guêpe, mais j'ai bien envie de goûter aux pistoles au chocolat ou autres croissants de lune, gourmandises appréciées de la reine.

Un livre, assurément à classer parmi les beaux livres, il respecte son sujet et l'Histoire  et surtout l'intérêt de cet album réside dans ses magnifiques illustrations, un trait de génie de Benjamin Lacombe. Tout est réuni pour que nous appréciions à sa juste valeur un livre riche en émotions.

L'illustrateur et auteur a su créer de manière originale et intéressante un hypothétique journal intime de la reine pour raconter brièvement son destin tragique et romanesque. Les gravures possèdent à elles seules les clés des périodes importantes de l’existence de la souveraine. C'est une autre façon d'aborder le genre biographique ; un jeu de pistes et de symboles à déchiffrer pour mieux comprendre le personnage. 

Un livre vraiment ludique, original, rapide à dévorer, si beau et agréable à feuilleter.




"Secrets d'histoire 8 " de Stéphane Bern.

Une chevauchée fantastique à travers les siècles où le plaisir de découvrir se mêle à celui d'apprendre !


Top lectrice France Loisirs.  


2018 - Albin Michel, 2019 - France Loisirs.
363 pages.
Ce huitième tome présente des courtes biographies historiques pèle-mêle et sans suite chronologique mariant avec brio toutes les époques. Des personnages moins connus côtoient sans complexe des figures de prou de l'Histoire. Ainsi, Baudouin IV de Jérusalem pointe le bout de son nez de manuels d'histoire poussiéreux et rencontre le temps d'une valse la très célèbre famille "Strauss". Un bel ouvrage richement documenté où chaque chapitre se dote merveilleuses peintures qui illustrent et permettent une visualisation très précise des hommes et des femmes des siècles passés.

Ce nouveau tome est une excellente suite de récits de vies de personnages historiques plus ou moins connus. Comme à chaque fois, le sujet est maîtrisé et fouillé. Stéphane Bern possède l'art de résumer l'Histoire en nous servant sur un plateau d'argent des récits courts et de qualité, regroupant l'essentiel avec quelques clins d’œil anecdotiques. Nous remontons le temps et virevoltons d'époque en époque sous une plume passionnée, vive et soutenue.. Tout est créé de manière à faire aimer l'Histoire et notre passé. Sans contexte, Stéphane Bern est un conteur hors pair. Ce tome a réussi à piquer ma curiosité et sans hésitation, j'ai bien envie de connaître un peu plus la vie aventureuse de Jacques Cœur ; courir à travers les Etats-Unis et me lancer dans la politique aux côtés de Théodore Roosevelt et aussi pourquoi pas lire, "Une autobiographie" de la reine du crime Madame Agatha Christie.  Certains chapitres ont évoqué des figures féminines aux destins bouleversants. je pense à Madame Louise la Vallière, maîtresse du roi Louis XIV, douce et amoureuse, un peu perdue dans ce pays si particulier qu'était la Cour de France au XVIIe siècle. mais aussi à Marie-Thérèse, fille de Marie-Antoinette surnommée "Mousseline la sérieuse" et malheureusement prisonnière tristement célèbre du Temple. Vous l'aurez compris notre curiosité est piquée et jamais l'ennui, ne pointe son nez.  La vulgarisation historique et une synthèse exemplaire font de cet essai un atout charme sans précédent. Ici, il ne s'agit pas d'entrer dans les détails mais, de donner envie au lecteur de creuser dans les méandres de l'Histoire.

Une série géniale qui ravira les passionnés d'Histoire, mais aussi et surtout pour les novices, l'occasion de découvrir un passé riche en destins surprenants et hors normes. Là où la réalité rejoint la fiction. L'avantage avec ce genre d'ouvrage est qu'il peut être picoré en plusieurs fois sans en gêner la lecture. 

L'archétype du cadeau à offrir aux fans d'Histoire. la lecture est facile, alerte, vive et passionnée. les pages se tournent toutes seules et le livre terminé, nous nous surprenons à en redemander.  Une écriture fluide et vive sans termes exhaustifs permettent un apprentissage agréable et stimule l'envie d'en savoir plus et toujours plus. Le livre idéal par excellence !