mercredi 10 mai 2017

"La vérité à propos d’Alice de Katherine Webb.

Titre original : "The misbegotten.
Belfond 2015 - France Loisirs 2016.
700 pages.

Un secret de famille, des mystères ...  

Angleterre, 1821, Rachel Crofton, orpheline, de bonne famille mais ruinée pense échapper à sa condition de gouvernante et vieille fille en épousant un négociant de vins, Richard Weekes ; A défaut d’être amoureuse, il lui semble être un parti convenable. Installée à Bath, dans sa nouvelle condition de femme mariée, elle découvre un homme colérique et opportuniste. Pour tromper son ennui et sa grandissante déception, Rachel accepte la proposition de lady Alleyn, une cliente et bienfaitrice de son mari. Elle rencontre son fils reclus, Jonathan, vétéran de la guerre d’Espagne. Dès sa première visite, Rachel comprend que les apparences masquent de profondes failles : pourquoi Jonathan réagit-il si vivement à sa vue ? Qui était Alice, sa fiancée mystérieusement disparue et à qui Rachel ressemble tant ?
Décidée à percer le secret de la maison Alleyn, Rachel n’a bientôt plus qu’une idée en tête : découvrir la vérité à propos d’Alice… Starling, une des servantes des Alleyn, très liée à Alice par le passé cherche à prouver la culpabilité de Jonathan ; elle le tient pour responsable de la mort d’Alice ; il n’y aurait pas de disparition ! Personnage tenace, amer, désabusé ; son unique but dans sa misérable existence est de faire éclater la vérité. Comme dans les précédents romans de Katherine Webb, ce personnage féminin de petite condition aborde
une attitude résolument féministe avant-gardiste.

Deux époques se chevauchent : la jeunesse d’Alice Beckwith (1803 -1809) et  douze ans après avec la vie de Rachel Crofton épouse Weekes (1821). Après un début un peu lent caractéristique de ce style de roman, l’histoire se met petit à petit en place avec son flot de personnages principaux et secondaires ; attention, tous ont leur importance ! Nous finissons par ne plus vouloir lâcher ce livre tant notre envie est grande de tout découvrir. 

Tout commence en 1803, lorsque Alice recueille une fillette qu’elle prénomme singulièrement « Starling ». Dans une ferme modeste de l’époque, nous apparait l’existence d’Alice entourée de sa gouvernante-servante Bridget , son bienfaiteur lord Faukes – personnage ambivalent – et le jeune Jonathan. Toute cette période nous est relatée par Starling. Alice, personnage absent et omniprésent n’est dévoilé que par le biais d’une tierce personne. Sa personnalité, son apparence nous fait l’effet d’un ange sur terre égaré parmi les siens. Ses sentiments, ses actions nous sont toujours racontés par une tierce personne. 

En 1821, nous retrouvons Starling et Jonathan plus âgés et vraiment différents. Starling, devenue servante après la disparition de sa « sœur » n’a plus qu’une obsession : prouver la culpabilité de Jonathan Alleyn. Jeune femme résolument têtue au caractère bien trempé, au regard acéré sur son époque et la condition féminine de son milieu. Ses jugements sont tranchants sur la caste bourgeoise et aristocratique anglaise. Quant à Jonathan, dévoilé comme un homme ravagé, blessé  par les traumatismes subis à la guerre d’Espagne, il ne semble pas pouvoir se relever de la disparition d’Alice et de ses souvenirs cauchemardesques. L’arrivée de Rachel, portrait troublant d’Alice fait l’effet d’un électrochoc qui déclenche les résurgences du passé submergeant le présent ; Tout est bouleversé, petit à petit les voiles se lèvent sur une Rachel, malgré son éducation de jeune femme de la bonne société anglaise, s’affranchit peu à peu d’une union décevante,  et cherche à connaitre la vérité. Elle est douce, généreuse et pleine d’empathie. Mme Joséphine Alleyn, mère de Jonathan, est l’archétype du personnage de bonne condition engluée dans son éducation, conservatrice et cache des secrets derrière un  masque de beauté froide et noble.

P 209 - "En pénétrant dans cette demeure, elle avait l'impression l'impression de sortir du temps et de l'espace, d'entrer dans un monde où les règles familières ne s'appliquaient plus, où tout pouvait arriver".

p 328 - "Ne plus jamais s'exposer au risque de la douleur. Mais en se cachant comme il le fait, il s'enferme dans ses souvenirs et dans ses cauchemars. En vérité, je pense que le plus grand obstacle à son retour à la santé, peut-être le seul, c'est que ... c'est qu'il ne le désire pas".

Impossible d’en écrire plus sur les personnages et l’intrigue sans divulguer toute la trame de l’histoire. Au fil des chapitres, tout s’enchaine et tous les détails ont leur importance. L’atmosphère est bien rendue grâce aux belles descriptions de la ville de Bath sous un automne et un hiver rigoureux, accentuant le côté dramatique. La formidable plume de l’auteur nous happe dans son univers et nous suivons les personnages dans leur existence. Nous vivons, nous souffrons avec eux.  

p 253 - "Pourtant quand la maladie de l âme nous désespère, les poètes sont de vieux médecins réputés, qui, à notre esprit tourmenté offrent en remèdes les exemples du passé". Sir William Duvenant.

La romancière Katherine Webb est l’héritière des grandes romancières anglaises.  Elle nous offre un formidable roman sur l’amour, la perte d’un être cher dans une ambiance sombre, d’une grande noirceur ! Une connotation féministe reste toujours présente avec tous les différents personnages féminins. Par certains côtés, Rachel m’a rappelé Jane Eyre de Charlotte Brontë. Un grand coup de cœur, une lecture qui ne laisse pas indifférente … Je conseille ce roman  aux amoureux de mystères, de secrets de famille, d’atmosphère sombre, de belles et longues descriptions ; Lecture intense en perspective.

p 541 - "Dehors, le vent malmenait les arbres et sifflait dans les fissures et les recoins de la cité, mugissant comme un océan affamé. La maison bougeait et grinçait autour d'eux, des courants d'air se glissaient au-dessous des portes et des fenêtres, le long des cheminées et sous les tuiles".

Un petit aparté : un grand merci à la traductrice Florence Bertrand qui a su si bien traduire l’atmosphère de ce roman ; un style irréprochable qui laisse à penser à une belle écriture française …

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Née en 1977, Katherine Webb a étudié l’histoire à l’université de Durham. ; Elle vit aujourd’hui dans la campagne du Berkshire. 
" L’Héritage " (Belfond, 2011), son premier roman, a été un Best-seller en Angleterre et finaliste du prestigieux Galaxy Award ; suivent trois autres ouvrages, "Pressentiments" (2013), " À la claire rivière " (2014). 

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