vendredi 1 décembre 2023

"La brodeuse de Winchester" de Tracy Chevalier.

 

Laissez-vous envoûter par le charme désuet de ces brodeuses qui filent le temps passé et présent et réveillez-vous aux sons des carillons. Violet et ses silences saura vous surprendre dans sa vie ordinaire, bouleversante et si attachante. Un roman qui fait du bien avec le charme à l’anglaise, en plus !   

Editions La table Ronde - 2020 -
345 pages.
Un savant mélange de douceurs et d’acidités brode avec patience des existences ordinaires et solitaires. Sans avoir l’air d’y toucher, la romancière aborde des sujets forts comme le choix d’aimer sans tabous, l’émancipation des femmes et surtout le tort, le mal, que font certaines personnes, maladroitement ou volontairement.

Violet ou l’amorce de la lente émancipation des femmes ! Pour mon plus grand plaisir, la romancière a su parer l’existence de Violet, son personnage, de fils tour à tour chatoyants ou dans des tons plus gris. Une peinture réaliste d’une vie ordinaire de femme qui se révélera exceptionnelle dans ses choix et tellement attachante. Une plume douce et poétique nous interpelle sur le sort de ces femmes ni trop jeunes, ni trop vieilles qui n’ont pu ou pas su trouver un mari. Elles ne peuvent pas tenir le rang tutélaire imposé aux femmes, à savoir s’occuper d’un foyer et avoir de charmantes, petites têtes blondes. La Première Guerre mondiale, au service de la grande faucheuse, a broyé énormément de jeunes hommes dans la fleur de l’âge. Toutes ces jeunes filles de l’après-guerre ont été surnommées si galamment « excédentaires ». Elles doivent se résigner aux seconds rôles dans leur famille, dernières près du foyer, se tenir discrètes et le plus effacées possible. Maintien et tenues sobres voire sans attraits sont de rigueur et exigées dans une société aux carcans sociétaux rigides et inflexibles. Comme si, elles n’existaient plus, des formes éthérées aux allures féminines. A noter, le manque de cordialité de la nouvelle génération féminine et le mépris des femmes plus âgées. L’entraide et l’empathie entre elles sont curieusement absentes. Le personnage de la mère de Violet est tout simplement exécrable. J’ai admiré la force de caractère de la jeune femme qui sait se taire et parfois tourner en dérision les réflexions et attitudes déplaisantes. Une contenance qui l’aide à avancer et la conforter dans ses résolutions. Tout doucement, elle se libère et elle choisit une existence où elle pourra s’épanouir envers et contre tous.

Les figures masculines sont plus discrètes, un père et son beau et rassurant souvenir, un frère aux allures paternalistes. Le petit cœur de Violet battra pour un homme beaucoup plus âgé, Arthur, sonneur de cloches, de son état. Sans faire de la psychologie, peut-être une attente de reconnaissance, de sécurité et de sagesse sans parti-pris.

Le récit effleure habilement les troubles qui agitent l’Allemagne avec la montée en puissance de son redoutable parti nazi. Un texte souple sans grandiloquence, voulu, pour préserver une vision authentique du contemporain de l’époque.

Une autre subtilité de la romancière, son jeu avec les noms des fleurs et leur langage, certainement rien d’anodin !  Tout d’abord Violet, rappelle la modestie, la timidité, le silence ou l’amour secret ; des thèmes liés à la personnalité de la jeune femme et du tournant que prend sa vie amoureuse. Iris, la fleur préférée de Mrs Pesel, oui, mais pas seulement … Souvent affiliée au deuil, la sagesse et l’espoir ! Une corrélation suggérée par les fleurs peintes sur les bordures des coussins : les filfots, toute une symbolique odinique, réutilisée dans une forme plus primaire par les nazis, la croix gammée ! Ah, j’oubliais, « Speedwell », se traduit, Véronique, une fleur et aussi un prénom …

Un thé chaud qui réconforte, une lecture surprenante qui a su me conquérir avec ses descriptions de la campagne anglaise, de ses non moins célèbres cathédrales, avec ses pubs si pittoresques ! Avec une coquetterie en trompe l’œil, Tracy Chevalier m’a séduite …

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Tracy Chevalier est une romancière américaine ; elle vit à Londres depuis 1984. Sa carrière débute en 1997 (V.O) avec "La vierge en bleu". Son grand succès littéraire sera  "La jeune fille à la perle" (1999), un roman inspiré par le célèbre tableau de Vermeer. 

- "Le récital des anges" (2002), "La dame à la licorne" (2003), "La vierge en bleu" (2004), "L'innocence" (2007), Prodigieuses créatures" (2010), "La dernière fugitive" (2013), "La Grande Guerre" (2015), "A l'orée du verger" (2016),  "Le nouveau" (2017).

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