vendredi 23 octobre 2020

"La prisonnière du diable" de Mireille Calmel.

2019 - XO Editions.
400 pages.

Un huis clos médiéval, une habile plongée dans une fiction historico-fantastique où nous jouons les détectives. La force, le courage et l'amour affrontent dans une lutte sans merci un vivier de ressentiments, de vengeance et de sorcellerie.

Top Lectrice France Loisirs.  

Fin de XVème siècle, caché sous les sables égyptiens, un ordre secret surveille une roue de pierre qui tourne sans cesse. Le jour où elle s'immobilise, Dieu délivre un lieu et nom d'une personne à exécuter. Possédée par Satan, elle doit mourir pour préserver l'équilibre du monde. Ainsi va depuis la nuit des temps. Ces lettres de feu et de sang, parviennent à Utelle, petit village près de Nice. Hersande, religieuse, responsable du sanctuaire Notre Dame et membre de l'ordre en est la dépositaire. Elle doute de la véracité du message et remet à plus tard l'exécution de la sentence. La messagère est retrouvée morte. Les terres avoisinantes appartiennent au baron Raphaël, seigneur rustre et énigmatique.  Myriam, jeune veuve d'un tailleur de pierre, élève tant bien que mal deux jeunes enfants. Elle est aussi, sur le point d'accoucher. Une conversation avec Benoit, tailleur de pierre comme feu son époux et aussi son cousin lui font douter de l'accident de travail. Ensemble, ils cherchent à comprendre.  Des phénomènes des plus étranges comment à troubler la tranquillité des villageois. De révélations en rebondissements, l'étau se resserre et la menace se précise ...

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La romancière a su exploiter les superstitions, les peurs créées par la religion au moyen-âge. Le fonds de commerce de toutes les aliénations et de tous les excès. L'histoire se déroule en 1494, fin de l'ère moyenâgeuse dans un petit village typique de cette époque avec château, son baron, un couvent et ses nonnes et toute une palette de villageois tels que l'aubergiste et ses filles, des ouvriers qui bâtissent une toute nouvelle église. Un chantier très représentatif de l'époque, le temps des cathédrales et monuments religieux en tous genres. Myriam, le personnage phare du roman, fait face au dur quotidien avec beaucoup de dignité et de courage. Hersande, dans un autre genre est du même acabit. femme forte, elle ne panique pas face aux agissements du Malin. Elle garde un sang-froid exceptionnel au vu de situations violentes et surnaturelles. Ma petite préférée est la jeune Margaux, la fillette de Myriam qui aide beaucoup sa mère dans les tâches journalières, surveille son tout jeune frère. Elle fait surtout preuve d'une grande maturité d'esprit pour son jeune âge. A cette époque, les voiles l'enfance se levaient très vite et l'existence âpre et violente jetait facilement ces chères têtes blondes dans le monde des adultes et les dures lois de la réalité. 

Un récit polyphonique où la psychologie de chaque personnage est bien construite. Au fil des pages, nous suivons avec plaisir, leurs joies, leurs amours, leurs difficultés dans la vie de tous les jours. Avec regret, nous découvrons aussi leurs faiblesses et leurs rancœurs qui auront de terribles répercussions.  Une lecture facile et agréable. Un certain choix de vocabulaire renforce le côté historique en totale adéquation avec l'époque choisie.

Pourtant, le roman achevé, une impression de manque s'installe ... Même si le rythme est soutenu, les apparences ne trompent pas beaucoup. Une absence totale de chair de poule et de frissons que nous sommes en droit d'attendre avec la présence du plus bel ange déchu. Une sorcière et une pauvre âme possédée servent leur maître qui manque de souffle, de noirceur et de rouerie. Une fatigue de fin de siècle, peut-être !!!  Malgré cette petite critique, le roman reste un bon policier historique à lire et il mérite d'être découvert. Il possède tous les atouts pour nous ensorceler. Un contexte médiéval avec de la religion, de la magie noire, des secrets, de la jalousie et des mensonges.  Les multiples rebondissements nous font douter de la bonne foi des personnages. Le côté ésotérique lance une intrigue plutôt sulfureuse et amène un élan spontané à l'histoire. Nous nous laissons prendre au jeu et nous jouons les détectives amateurs. Le mélange de fantastique, teinté de mythologie apporte une dimension intéressante au récit. Un combat entre le bien et le mal avec juste ce qu'il faut de bravoure et de sacrifices. Les personnages principaux sont des femmes fortes. Elles prennent leur destin en main et les hommes restent en second plan, une sorte de faire valoir.

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Mireille Calmel  - 1964, Martigues - écrit des romans aux héroïnes fières, courageuses et aux tempéraments bien trempés. Un succès jamais démenti ! Un petit rappel pêle-mêle de quelques unes de ses œuvres : le lit d'Aliénor, le bal des louves, Les lionnes de Venise, le chant des sorcières, Lady Pirate.

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jeudi 22 octobre 2020

"La légende de Grace Darling" de Hazel Gaynor.


2019 - Bragelonne, Milady.
Traduit de l'anglais par Fabienne Vidallet.
442 pages.
 La vie, telle la mer berce et malmène deux jeunes femmes romantiques à deux époques distinctes. 

Top lectrice France Loisirs.

Sous l'allure fière et les lumières rassurantes des phares, nous découvrons un métier fait de passion, de rigueur. Un face-à-face avec l'immensité des flots, perché entre mer et ciel. Un gardien de phare se sent plus libre que prisonnier. Grace Darling, telle une fée des houles se dresse face à une mer déchaînée pour sauver des naufragés. En septembre 1838, au large des côtes du Nothumberland, une violente tempête brise un navire.  Elle n'écoute que son cœur, fait fi de ses craintes et elle aide son père pour tente l'impossible et ramener les quelques survivants. Sa vie  simple et libre de tous les carcans de la société s'en trouve modifiée. L'île perd de sa tranquillité. Beaucoup de sollicitations, des artistes viennent brosser son portrait, elle est submergée de courriers, de cadeaux, voire même de demandes en mariage. Une véritable héroïne nationale. Toute cette agitation et ce bruit la contrarient et elle n'aspire qu'à retrouver sa chère tranquillité. Sans entraves, Grace s'épanouit dans une nature brute et sauvage, parfumée par les embruns marins sur sa très chère ile. Elle se plaît à parcourir les terres balayées par les vents où ses nuits se bercent des murmures des vagues. Rien ne pourra l'arracher à ce coin de paradis où la main de l'homme ne s'est pas imposée. Pourtant, cette jeune femme en herbe, vivra ses premiers et uniques émois amoureux auprès d'un jeune peintre, George Emmerson. Celui-ci se trouve être le frère se Sarah Dawson. Jeune veuve, elle venait rejoindre son frère en Ecosse. Les eaux sombres  déchaînées lui ont ravi ses deux jeunes enfants. Grace lui remettra un manuel à l'usage des gardiens de phares. Un livre qui se transmettra de génération en génération. Avant de quitter l'Angleterre pour les Etats-Unis, Sarah lui confiera son médaillon vide des portraits de ses enfants. 
Grace est un personnage tout en poésie. Quelques Alexandrins lui rendraient hommage et glorifieraient sa belle âme ! Un ange est passé sur terre ! Trop tôt disparu. 

Cent ans plus tard, Matilda tentera de percer les liens, les ressemblances au travers de lettres et de portraits. Elle fuit l'Irlande après une malheureuse aventure et une grossesse dès plus embarrassante pour sa famille. Harriett, une cousine inconnue l'héberge à Long Island. Une gardienne de phare, solitaire  et aigrie, la vie l'a meurtrie et blessée. Tel un coquillage agressé par le sel, elle se referme sur elle-même. Matilda forcera des portes pour mieux comprendre et aussi pour mieux s'assumer. Ses curiosités remettront en question son existence et ses certitudes. Un secret de famille, des aveux troublants d'Harriett lui permettront d'envisager une nouvelle vie avec son bébé.
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Ce roman nous renvoie aussi à nos promenades solitaires où nous ramassions coquillages, galets blancs et verres colorés polis par la mer. Une envie de solitude et de paix nous étreint. Une envie farouche d'embruns, d'odeurs de bords de mer et de vents ébouriffants nos cheveux nous appellent avec force ! Le phare et sa lucarne se dressent face à l'horizon et l'avenir, et chaque personnage est une pierre vivante pour son édifice. La romancière a su magnifiquement mêler réalité et fiction ; son imagination ne nie pas le fait divers, mais a su lui donner une autre aura.  Deux des personnages ont vraiment existé : Grace Darling et Mme Dawson (une rescapée). Les mots nous bercent comme le chant de la mer qui nou enveloppe de son étreinte fluide et fuyante. Un bon roman à savourer sur une plage de sable fin à l'aube ou au crépuscule d'un jour ou d'une nuit.

A toutes époques, les îles ont fasciné les hommes. Ce récit rend hommage à une nature brute, accueillante et parfois cruelle. Les personnages ont eu tous besoin à un moment donné de leur existence de solitude, de paix intérieure pour se remettre en question et surtout aborder l'avenir sous un autre angle. Une histoire de femmes, un tour résolument féministe où des jeunes femmes se veulent libres de décider de leur destin, de briser des codes d'une société étouffante et blessante. Un vent d'émancipation souffle, sans faire trop de vagues et sans violence !

Cette lecture ressemble à m'y méprendre à un coup de cœur ! La mer, la nature sauvages et imprévisibles m'ont transporté ver des rivages de joie,. J'ai été rejeté sur des plages de tristesse. Les marées et les vents m'ont balloté dans des écumes de soupirs et de larmes salées. La vie, le temps, telle l'eau, s'écoulent sans fin et retenue vers des horizons, des destins où seul un grain de sable transporte nos personnages vers des tempêtes de désolations et de fureurs.  

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Hazel Gaynor, romancière britannique, passionnée par Jane Austen et les soeurs Brontë, écrit depuis sa jeunesse. Ses romans ont été traduits dans de nombreux pays et ils ont remporté de nombreux prix. Malheureusement, "La légende de Grace Darling", est le seul de ses récits traduit en français (2018).
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mardi 20 octobre 2020

"La prisonnière du temps" de Kate Morton.

2019 - Presses de la Cité - traduit de l'anglais(Australie) par Anne-Sophie Homassel - 616 pages.
2019 - Presses de la Cité.
Traduit de l'anglais (Australie par Anne-Sophie Homassel.)
616 pages.

Un vrai coup au cœur, Kate Morton nous offre une œuvre inoubliable, enchanteresse où elle exprime à merveille ses talents de conteuse. Le temps a suspendu son envol et j'ai apprécié.

Top lectrice France Loisirs.

Dans un souffle froid, une dame blanche, appelons-la Lily, se confie et se remémore sa vie et celles des vivants qu'elle a croisés. Une invisible spectatrice, dans un temps suspendu pour l'éternité, les mécanismes de son horloge se sont brisés.

Tic-tac, le temps défile dans un sens ou dans un autre ...

Une fiction éblouissante tisse sa toile d'araignée où chaque fil nous entraîne à la suite d'Elodie Winslow, jeune archiviste londonienne qui délaisse tout après la découverte d'un carnet de croquis et d'une vieille photographie. Elle se lance dans une quête obsessionnelle. L'horloger au service temps, joue avec les petites et grandes aiguilles et les vies passées se brodent de nouveau dans cette grande toile. 

J'ai savouré chaque mot, chaque phrase, chaque chapitre. J'ai même ralenti ma lecture, pris mon temps et relu plusieurs fois certains passages. La magie a opéré ...C'est un délice littéraire, un  grand roman d'atmosphère. Un tourbillon de vies qui se délie et s'attache tous à une vieille maison où les personnages puisent réconfort face aux tourmentes de l'histoire et laissent couler leurs souffrances face à la mort d'un être cher. Kate Morton a su réinventer le roman gothique avec juste ce qu'il faut de crépusculaire et d'inquiétant. Une âme prisonnière qui déambule sans fin dans les couloirs poussiéreux et humides d'un manoir anglais figé dans le temps. Un musée qui se dresse à la mémoire d'un peintre trop tôt disparu ; mort noyé après des années d'errance à la recherche de son grand amour perdu après une nuit d'orage. Nous n'aurons jamais son point de vue, ni son existence ne sera décrite comme pour accentuer l'image de génie et d'amant maudit. Adolescent à l'imagination fertile, il prétendra avoir été poursuivi par un démon dans les bois, guidé et sauvé in extrémis par une lumière brillant à une fenêtre d'un grenier. C'était Birchwood Manor et sa légende des enfants de fées. Cette même lumière se manifestera à d'autres personnages au cours de l'histoire. La reine des fées Titiana, souveraine des songes, n'est pas loin. Il me semble entendre son char suivre l'ombre de la nuit !   

L'horloge du temps s'affole et tourne dans tous les sens pour nous présenter tour à tour des personnages qui séjourneront dans le manoir à la croisée de  leurs vies, liés les uns aux autres par les hasards de l'existence. L'auteur s'est plu à semer des petits cailloux blancs sur sa partition romanesque, autant de clins d'œil à d'autres romans. Son prince pâle sous trois accords nous emporte vers "le jardin secret" de Frances Hodgson Burnett avec le cousin de la petite Mary exilée de ses Indes natales (connotation avec Ada !) qui vit reclus dans sa chambre. Mary ou Birdie font sa connaissance et une forte amitié se nouera. Notre dame blanche, mélodieuse et ensorcelante Birdie, est une petite sœur sous bien des côtés d'Elisabeth Sidal, muse et femme de Dante Gabriel Rossetti. Une femme à la beauté éclatante qui a su charmer à son époque bien des peintres et inspire encore de nos jours nombres de romanciers. J'extrapole peut-être, mais le temps perdu, le temps retrouvé, le long fleuve de la vie qui s'écoule sans fin m'a suggéré quelques clins d'œil à l'œuvre majeure de Marcel Proust. Un choix qui s'est insinué avec la révélation du vrai prénom de Birdie-Lilly. A bien y réfléchir, une identité somme toute logique !

Après un tel roman, un maelström d'émotions tourbillonne sous mon crâne. J'espère trouver un jour mon Birchwood Manor et sa cachette sous l'escalier. Je me glisserai au sol sans bruit. J'attendrai les derniers rayons du soleil crépusculaire, je gratterai trois fois aux parois de bois vieillis, dans l'attente d'un signe. Et là, sous une certaine atmosphère un peu oppressante et fraîche, je murmurerai à cet oisillon perdu, des mots de réconfort. "N'oublie jamais ton existence passée, ni ceux qui l'ont traversée, chuchote le prénom de ton grand amour. Peut-être entendra-t-il ta douce voix et émergera de cette grande nuit d'oubli.  Vous aurez alors l'éternité plus un jour pour vous aimer comme l'a écrit un certain William, très célèbre." Peut-être, aussi, sera-t-elle encline à d'autres confidences et je pourrai ainsi me blottir dans les bras de ces mousselines jaunies du passé. Le temps sera retrouvé pour les uns et suspendu pour une autre ... Ensuite, je m'endormirai bercée par cette voix d'outre-tombe, ou bien, je furèterai à la recherche de cette horloge, unique cadeau d'Edward, seule possession de Lily en ce bas monde. En partant, je saluerai le grenier éclairé. 

Vous soupirez et vous vous dites : tout est est bien excessif. Non, lisez donc et vous verrez ! Vous ne regarderez plus de la même façon un érable et son coin ombragé qui appelle au repos ...

Comme une virtuose, seule, sur scène, Kate Morton a peint un roman à l'ambiance si particulière, empreinte de mystères où se révèlent des personnages aux destins liés au gré des brises du vent où soufflent des murmures d'un autre âge. Elle possède un sens aigu du mystère et de la magie des lieux ; elle sait créer une histoire et surtout dresser une atmosphère exceptionnelle. Un conte certes un peu complexe, mais tellement envoûtant ...

Comme j'aimerais posséder la plume de Kate Morton et juste un soupçon de son génie romanesque.  Cette grande conteuse nous happe dans une symphonie de portraits croisés, lumineux, touchants sous les frôlements et les murmures d'un esprit féminin, prisonnier dans l'entre deux mondes. Une évocation toute en finesse de maison hantée qui ensorcelle les esprits et relancer le sujet épineux de la vie après la mort. Une vision toute poétique des âmes qui restent parmi nous, sans brutalité, ni horreur ; juste en murmures et souvenirs à qui sait écouter ... Juste une ébauche de conseil, lisez ce roman avec en fond "La symphonie fantastique" de Berlioz, la magnificence de ce récit en est sublimée ! 

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Kate Morton, est née en Australie en 1976 ; titulaire d’une maîtrise sur la littérature victorienne, férue de littérature gothique, est depuis toujours fascinée par les romans d’atmosphère. Son premier roman, Les Brumes de Riverton (Presses de la Cité, 2007), écrit à 29 ans, est un succès mondial, bientôt suivi par Le Jardin des secrets (2009) et Les Heures lointaines (2011), puis La Scène des souvenirs (2013),  L’Enfant du lac, parait aux Presses de la Cité en 2016. Son petit dernier et non des moindres en 2019 sous le titre de La prisonnière du temps.

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