mercredi 3 avril 2019

"Rose" de Tatiana De Rosnay.

2010 - Ed. Héloïse d'Ormesson.
traduit de l'anglais par Raymond Clarinard.
245 pages.

Confidences épistolaires d'une dame en crinoline ...


Sous le Second Empire, face aux coups de pioches destructrices du baron Haussmann, certaines vieilles rues parisiennes sont détruites pour la réalisation des grands boulevards. Notre Paris actuel sort de terre, une ville voulue plus lumineuse et salubre.Ces grandes avenues, écrin de beauté, qui participent à sa renommée.

Pourtant, en 1850, toutes ces démolitions et expropriations ont été vécues dans la douleur pour la plupart des habitants de ces quartiers.

Rose Bazelet raconte sa vie quotidienne sous ces grands chantiers, habitante de la rue Childebert, proche du boulevard Saint-Germain. Elle se confie à son mari, Armand, décédé depuis près de dix ans.Seule, dans une demeure vide, elle résiste, à sa manière, à la fin d'une époque ; elle refuse de quitter sa maison, lieu d'amour et de douleurs, gardienne de son existence passée. Rose écrit des lettres, sortes de confidences, de sentiments et de chagrins jamais avoués. Elle se confesse, soulage sa conscience et lui raconte sa vie depuis son départ. Par l'écriture, elle ose des révélations ... A presque soixante, elle n'envisage pas des jours nouveaux, elle se retire dans ses souvenirs. Ce dernier drame, elle le vit seule ! Dans ses lettres, elle évoque sa jeunesse, son mariage d'amour, son couple, ses deux enfants e son existence bourgeoise. Toute en pudeur, par petites touches, Rose retrace ses rapports quelque peu indifférents avec sa mère et parfois difficiles avec sa fille, Violette.  Dans une boîte, près d'elle, nous découvrons quelques morceaux choisis de sa correspondance. Son chemin croise des voisins agréables et amicaux. Alexandrine, jeune fleuriste, indépendante et farouche. ; le libraire, Mr Zamaretti qui l'initie au plaisir de la lecture. Une passion découverte après son veuvage. Un goût tardif, ses livres ne la quitteront plus. Dans ses derniers jours de grande solitude, seul un chiffonnier, Gilbert, lui apporte son soutien et son aide. Ses cauchemars récurrents annoncent un drame passé, très facile à deviner, et révélateur d'une époque où l’opprobre était généralement jeté sur les femmes. Le silence était de mise. Dans une rue fantomatique, son obstination annonce une fin tragique  ses lettres, une envie de faire la paix avec son passé. Le courrier d'expropriation l'a détaché de la vie, renfermé sur elle-même.

"Notre histoire d'amour était inscrite dans la structure interne, dans la beauté pittoresque de la maison. Elle était à jamais mon lieu avec vous. En perdant la maison, je vous perdrais à nouveau." (p 209).

Ce roman magnifique et bouleversant nous entraîne dans les ruelles, places, d'un Paris révolu, au côté de personnages pittoresques et attachants ; des reflets d'une vie vie de quartier, de bâtisses familiales transmises de génération en génération. C'est aussi le récit sur la fin d'une capitale plus que séculaire aux vestiges moyenâgeux. Haussmann, le baron éventreur, amorce les prémices d'une ville moderne.  Emile Zola et son roman "La curée" ne sont pas loin. La romancière, Tatiana De Rosnay, livre une histoire poignante, abordant avec finesse et brio des thèmes comme le deuil, la perte d'un enfant, la solitude et l'amour. Rose nous apparaît authentique, chaleureuse, comme une femme qui a du caractère avec un petit côté  bourgeoise parisienne. Elle apprécie les belles choses et son coquet confort. Nous ne sommes pas indifférents à sa détresse ! La maison reste un personnage à part entière, témoin silencieux d'époques révolues, de drames et de joies. Un abstrait et dernier compagnon pour Rose.

"Expliquer ce que j'éprouvais en lisant me paraît difficile, mais je vais m'y efforcer. Vous, grand lecteur, devriez me comprendre. c'était comme si je me trouvais en un lieu où nul ne pouvait me troubler, m'atteindre." (p 163).

Une très belle découverte, un roman épistolaire a une seule voix et la succession de lettres captive et intrigue agréable laissant planer un charme suranné aux parfums d'encre violette et crissements de plume.


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Tatiana De Rosnay est une journaliste, écrivain et scénariste française, née en 1961. Elle publie des romans aussi bien en français qu'en anglais. Son premier succès vient avec son roman "Elle s'appelait Sarah" (2006). En 2009, elle publie son deuxième récit écrit en anglais, "Boomerang". En 2015, sort sa remarquable biographie de Daphné Du Maurier, "Manderley for ever". Actuellement sur la scène littéraire, son dernier opus "Sentinelle de la pluie" remporte un franc succès.
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