mardi 28 août 2018

"Summer" de Monica Sabolo.

2017 - JC Lattès.
2018 - France Loisirs.
316 pages.

Mémoire en eaux troubles …


"Dans mes rêves, il y a toujours le lac" 

En Suisse, Benjamin le narrateur, jeune homme de plus de 35 ans, est en proie à de violentes crises d’angoisse qui l’empêchent de mener une vie sociale normale. Il est suivi par un psychiatre et essaie de libérer des flots de paroles et actes enchaînés dans le passé. Réfugié dans un studio dès plus modestes, il se souvient de sa sœur aînée, Summer ; disparue subitement à l’âge de 19 ans lorsqu’il était adolescent. Envolée, un jour d’été au bord du lac Léman. Sa dernière vision, fugitive, d’une jeune nymphe blonde aux longs cheveux de soie qui s’évapore au milieu d’immenses fougères. Depuis près de 24 ans, plus de nouvelles, le silence face  aux interrogations silencieuses : fugue, enlèvement, noyade, assassinat ! Petit à petit, les parents se murent dans un mutisme des plus troublants. Au sein de la famille, plus d’échanges, la communication se rompe. Chacun se referme sur ses silences et les apparences.  Et, subitement, suite à une odeur particulière sur son lieu de travail, Benjamin se rappelle sa sœur, son enfance et sa jeunesse dorée près du Léman. Sa mémoire, volontairement ou inconsciemment l’avait rejetée dans les oubliettes de  la douleur. Et maintenant, dans ses cauchemars, elle lui apparaît telle Ophélie, vêtue d’une chemise de nuit bleue qui glisse au fond de l’eau entourée d’une myriade de poissons aux couleurs des plus fantaisistes.

"La nuit, Summer me parle sous l'eau. sa bouche est ouverte, palpitante comme celle des poissons noirs."  p (13).

 Les cauchemars aqueux rejettent sur les rives des souvenirs d’enfance, des apparitions où l’angoisse craquelle le vernis des apparences d’une famille bourgeoise aux silences et secrets enfouis dans la vase du lac. Le narrateur, souffre dès son plus jeune âge, de troubles  et des tics, l’opposé de sa sœur, figure solaire, douée et aimée par la vie ! Nous le percevons à peine plus présent que sa sœur disparue ; un homme fantomatique rongé par le drame et les secrets familiaux qu’il a engloutis au plus profond de lui-même. En pénombre, le vilain petit canard ne se transformera jamais en cygne majestueux !

L’eau, personnage à part entière, troublant et menaçant suggère des réactions émotionnelles aux évènements une suggestion onirique que le rêveur refuse ou ne comprend pas. Benjamin possède peut-être, au fond de lui, la clé de la porte qui s’ouvrira sur la scène des révélations. Adulte, il cherche malgré sa douleur à comprendre, petit à petit, le passé resurgit …

"La nuit, je plongeais dans un sommeil profond, peuplé de rêves intenses, et le jour, toutes sortes de souvenirs me revenaient à l'esprit, c'était une rivière brassée, un torrent puissant qui retournait tout ce qui reposait là-dessous, quelque chose de gluant et qui remontait à la surface, filant à toute vitesse dans le courant, nettoyé par l'eau vive." p (27)
    

La romancière a su m’immerger totalement dans son univers ; une quête bouleversante sublimée par une écriture juste aux accents poétiques. J’ai cherché à reprendre mon souffle aux côtés  de Benjamin ; à ne pas sombrer et me noyer dans les abysses d’un passé violent. Un drame familial très bien construit, naviguant entre les rives du passé et du présent. Tous les personnages restent malgré eux hantés par cette disparition et même la fin ne dévoile pas toutes les parts d’ombre. Un récit lu d’une traite ou presque qui m’a tenu en haleine. C’est un très beau texte tout en atmosphère, toujours en attente face à l’absence d’un être adoré. Un livre beau et sombre !!!

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Née en 1971, Monica Sabolo est l'auteur de « Le Roman de Lili » - (2000) -,  « Jungle », (2005), «Tout cela n'a rien à voir avec moi» (prix de Flore 2013), et de «Crans-Montana», Grand Prix de la SGDL 2016. «Summer» (2017).
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