mardi 20 octobre 2020

"La prisonnière du temps" de Kate Morton.

2019 - Presses de la Cité - traduit de l'anglais(Australie) par Anne-Sophie Homassel - 616 pages.
2019 - Presses de la Cité.
Traduit de l'anglais (Australie par Anne-Sophie Homassel.)
616 pages.

Un vrai coup au cœur, Kate Morton nous offre une œuvre inoubliable, enchanteresse où elle exprime à merveille ses talents de conteuse. Le temps a suspendu son envol et j'ai apprécié.

Top lectrice France Loisirs.

Dans un souffle froid, une dame blanche, appelons-la Lily, se confie et se remémore sa vie et celles des vivants qu'elle a croisés. Une invisible spectatrice, dans un temps suspendu pour l'éternité, les mécanismes de son horloge se sont brisés.

Tic-tac, le temps défile dans un sens ou dans un autre ...

Une fiction éblouissante tisse sa toile d'araignée où chaque fil nous entraîne à la suite d'Elodie Winslow, jeune archiviste londonienne qui délaisse tout après la découverte d'un carnet de croquis et d'une vieille photographie. Elle se lance dans une quête obsessionnelle. L'horloger au service temps, joue avec les petites et grandes aiguilles et les vies passées se brodent de nouveau dans cette grande toile. 

J'ai savouré chaque mot, chaque phrase, chaque chapitre. J'ai même ralenti ma lecture, pris mon temps et relu plusieurs fois certains passages. La magie a opéré ...C'est un délice littéraire, un  grand roman d'atmosphère. Un tourbillon de vies qui se délie et s'attache tous à une vieille maison où les personnages puisent réconfort face aux tourmentes de l'histoire et laissent couler leurs souffrances face à la mort d'un être cher. Kate Morton a su réinventer le roman gothique avec juste ce qu'il faut de crépusculaire et d'inquiétant. Une âme prisonnière qui déambule sans fin dans les couloirs poussiéreux et humides d'un manoir anglais figé dans le temps. Un musée qui se dresse à la mémoire d'un peintre trop tôt disparu ; mort noyé après des années d'errance à la recherche de son grand amour perdu après une nuit d'orage. Nous n'aurons jamais son point de vue, ni son existence ne sera décrite comme pour accentuer l'image de génie et d'amant maudit. Adolescent à l'imagination fertile, il prétendra avoir été poursuivi par un démon dans les bois, guidé et sauvé in extrémis par une lumière brillant à une fenêtre d'un grenier. C'était Birchwood Manor et sa légende des enfants de fées. Cette même lumière se manifestera à d'autres personnages au cours de l'histoire. La reine des fées Titiana, souveraine des songes, n'est pas loin. Il me semble entendre son char suivre l'ombre de la nuit !   

L'horloge du temps s'affole et tourne dans tous les sens pour nous présenter tour à tour des personnages qui séjourneront dans le manoir à la croisée de  leurs vies, liés les uns aux autres par les hasards de l'existence. L'auteur s'est plu à semer des petits cailloux blancs sur sa partition romanesque, autant de clins d'œil à d'autres romans. Son prince pâle sous trois accords nous emporte vers "le jardin secret" de Frances Hodgson Burnett avec le cousin de la petite Mary exilée de ses Indes natales (connotation avec Ada !) qui vit reclus dans sa chambre. Mary ou Birdie font sa connaissance et une forte amitié se nouera. Notre dame blanche, mélodieuse et ensorcelante Birdie, est une petite sœur sous bien des côtés d'Elisabeth Sidal, muse et femme de Dante Gabriel Rossetti. Une femme à la beauté éclatante qui a su charmer à son époque bien des peintres et inspire encore de nos jours nombres de romanciers. J'extrapole peut-être, mais le temps perdu, le temps retrouvé, le long fleuve de la vie qui s'écoule sans fin m'a suggéré quelques clins d'œil à l'œuvre majeure de Marcel Proust. Un choix qui s'est insinué avec la révélation du vrai prénom de Birdie-Lilly. A bien y réfléchir, une identité somme toute logique !

Après un tel roman, un maelström d'émotions tourbillonne sous mon crâne. J'espère trouver un jour mon Birchwood Manor et sa cachette sous l'escalier. Je me glisserai au sol sans bruit. J'attendrai les derniers rayons du soleil crépusculaire, je gratterai trois fois aux parois de bois vieillis, dans l'attente d'un signe. Et là, sous une certaine atmosphère un peu oppressante et fraîche, je murmurerai à cet oisillon perdu, des mots de réconfort. "N'oublie jamais ton existence passée, ni ceux qui l'ont traversée, chuchote le prénom de ton grand amour. Peut-être entendra-t-il ta douce voix et émergera de cette grande nuit d'oubli.  Vous aurez alors l'éternité plus un jour pour vous aimer comme l'a écrit un certain William, très célèbre." Peut-être, aussi, sera-t-elle encline à d'autres confidences et je pourrai ainsi me blottir dans les bras de ces mousselines jaunies du passé. Le temps sera retrouvé pour les uns et suspendu pour une autre ... Ensuite, je m'endormirai bercée par cette voix d'outre-tombe, ou bien, je furèterai à la recherche de cette horloge, unique cadeau d'Edward, seule possession de Lily en ce bas monde. En partant, je saluerai le grenier éclairé. 

Vous soupirez et vous vous dites : tout est est bien excessif. Non, lisez donc et vous verrez ! Vous ne regarderez plus de la même façon un érable et son coin ombragé qui appelle au repos ...

Comme une virtuose, seule, sur scène, Kate Morton a peint un roman à l'ambiance si particulière, empreinte de mystères où se révèlent des personnages aux destins liés au gré des brises du vent où soufflent des murmures d'un autre âge. Elle possède un sens aigu du mystère et de la magie des lieux ; elle sait créer une histoire et surtout dresser une atmosphère exceptionnelle. Un conte certes un peu complexe, mais tellement envoûtant ...

Comme j'aimerais posséder la plume de Kate Morton et juste un soupçon de son génie romanesque.  Cette grande conteuse nous happe dans une symphonie de portraits croisés, lumineux, touchants sous les frôlements et les murmures d'un esprit féminin, prisonnier dans l'entre deux mondes. Une évocation toute en finesse de maison hantée qui ensorcelle les esprits et relancer le sujet épineux de la vie après la mort. Une vision toute poétique des âmes qui restent parmi nous, sans brutalité, ni horreur ; juste en murmures et souvenirs à qui sait écouter ... Juste une ébauche de conseil, lisez ce roman avec en fond "La symphonie fantastique" de Berlioz, la magnificence de ce récit en est sublimée ! 

________________________________________________________________________________

Kate Morton, est née en Australie en 1976 ; titulaire d’une maîtrise sur la littérature victorienne, férue de littérature gothique, est depuis toujours fascinée par les romans d’atmosphère. Son premier roman, Les Brumes de Riverton (Presses de la Cité, 2007), écrit à 29 ans, est un succès mondial, bientôt suivi par Le Jardin des secrets (2009) et Les Heures lointaines (2011), puis La Scène des souvenirs (2013),  L’Enfant du lac, parait aux Presses de la Cité en 2016. Son petit dernier et non des moindres en 2019 sous le titre de La prisonnière du temps.

___________________________________________________________________________


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire